Une jolie libraire de la rue Saint-Jacques, Mlle Babuty,
s’est jetée au cou de M. Greuze, Peintre moralisateur, et l’a contraint à
l’amour.
En 1759, ce petit fait divers n’étonne personne, car l’amour
est considéré comme le seul maitre au monde. Le duc de Richelieu, courtisan
« bel air », qui fournissait au roi quelques « caillettes »
de choix, avait inventé une formule plaisante pour excuser les fredaines
royales : « L’amour est la consolation des hommes et
principalement des princes, obligés de charmer les soucis du trône ».
En 1759, le roi, sans offusquer ses sujets, vient d’offrir à
la Pompadour le titre de duchesse en récompense de ses bons et loyaux services.
Depuis qu’une maladie bien fâcheuse lui a interdit d’enivrer les sens de Louis
XV, elle est devenue sa plus précieuse collaboratrice. Elle s’occupe à la fois
des affaires de l’Etat et des amours de Sa Majesté. C’est elle qui choisit le
personnel et les invités des petits appartements et du Parc-aux-Cerfs. On
connait, par les chroniqueurs et les pamphlétaires, le goût du roi pour la
jeunesse, mais chacun se plaît à reconnaître que les adolescentes présentées
par Mme de Pompadour, sont toujours traitées avec beaucoup d’égards. « Le
roi, écrit Soulaire, était très gentil pour ses petites victimes à qui il
enseignait l’écriture... D’ailleurs, il s’occupait aussi de les instruire des
devoirs de la religion ». Plusieurs témoins ont affirmé que ces jeunes
personnes n’étaient autorisées à se mettre dans le lit de Sa Majesté que
lorsqu’elles avaient dit leur prière. »
Ce siècle frivole, où l’immoralité s’étale avec insouciance,
a le mérite de ne pas être hypocrite. Il est de notoriété publique que les
demoiselles de l’Opéra sont subventionnées par un ou plusieurs gentilshommes de
bonne condition. On lit dans des rapports officiels que le frère de la
Pompadour, le marquis de Marigny, directeur et ordonnateur général des
Bâtiments, est l’amant d’une jeune fille charmante qui le trompe pour cent
louis. Nul n’ignore que le prince de Soubise donne à Mlle Audinot, la maîtresse
du duc de Lauzun, douze cents livres par mois, et la même somme à sa mère pour
les dépenses de la maison ; ce prince prodigue alloue également trois
mille livres à Mlles Guimard et Coste. M. de Beaujon n’éprouve pas le besoin de
cacher sa passion pour la tendre Julie, fille Bonnesson. Les inspecteurs de
police noircissent chaque jour des feuilles et des feuilles de comptes rendus
concernant les amours de M. le receveur des tailles et de la généralité de Paris,
de M. le trésorier des aumônes du roi, de M. le directeur général des grandes
gabelles, de M. le président de la Cour des comptes...
Chamfort a rapporté une conversation entre Mme d’Esparbès et
Louis XV, qui restitue assez bien le climat de galant cynisme qui est à la mode
depuis la Régence.
« Tu as couché avec tous mes sujets ? dit le roi.
-
Ah ! Sire !
-
Tu as eu le comte de Choiseul ?
-
Il est si puissant !
-
Le maréchal de Richelieu ?
-
Il a tant d’esprit !
-
Montville ?
-
Il a la jambe si belle !
-
A la bonne heure ! Mais le duc d’Aumont,
qui n’a rien de tout cela ?
-
Ah ! Sire, il est si attaché à Votre
Majesté ! »
L’amour, quel qu’il soit, est alors le meilleur passe-temps
des Français. Au théâtre, Marivaux fait applaudir les aventures de Marianne, jeune
ingénue jetée dans les pièges de la grande ville : il lance, avec
« les Jeux de l’amour » et « les Fausses Confidences, un terme
qui convient à la légèreté des propos de salon : le marivaudage. A
l’Opéra, Favart, l’ancien pâtissier, fait triompher le couplet galant.
Amourettes, parties fines, madrigaux de boudoirs sont les
grands travaux auxquels se consacrent les petits-maîtres aux cheveux poudrés,
qui promènent, de relais galant en reposoir d’amour, leurs talons rouges. Ils
secouent d’un geste gracieux leurs tabatières, dont le couvercle s’orne de
scènes qui sont le reflet des mœurs du temps. On y voit souvent des dames se
trousser devant l’âtre, car il était d’usage, dans le meilleur monde, de se
réchauffer de cette manière. Miniaturistes et graveurs ont répandu ce tableau
intime sous lequel on peut lire de petits textes pleins de sous-entendus :
« Entre deux feux », par exemple... On exploite également, dans la
décoration des tabatières, les possibilités de « coup de vent »
malicieux qui emporte la perruque du mari et fait voler les dessous de la dame.
Quant à l’attente du clystère, c’est un sujet traité si fréquemment que l’on
peut se demander si cette attente n’était pas la principale occupation des
jolies femmes de ce siècle, dit « des lumières ».
Par réaction, le goût des amateurs sérieux s’oriente soudain
en France vers les Flamands, maîtres des scènes familiales : la bonne
ménagère, la mère allaitant, le bon médecin, etc. Ce retour à la peinture
bien-pensante a été salué par l’abbé Laugier : « Dans
ce siècle malheureux, où la passion pour le frivole a pris le dessus et où le
joli a bien plus de crédit que le grand et le beau, il est fort simple que les petits tableaux flamands fassent grande
fortune ». La France étant prête à accueillir la peinture de
genre, les personnages de la vie quotidienne vont, sur les toiles, remplacer
les héros de la mythologie. Dans « L’Enseigne de Gersaint »,
Watteau lui-même s’est inspiré de la réalité : les emballeurs clouent une
caisse, le commissionnaire attend, les commis entourent les clients pendant
qu’un chien gratte ses puces. Dans les « Cris de Paris » de
Boucher, c’est toute la vie de la rue que nous montre le spécialiste des
nudités libertines. Cet engouement général est une des raisons du succès de
Chardin, le maître du réalisme. A ses yeux, tous les objets sont dignes de
figurer dans une scène familiale : un balai, un couteau, au même titre
qu’un panier ou un râteau.
De cette peinture anecdotique, Jean-Baptiste Greuze,
jeune artiste venu de Lyon, va faire une peinture philosophique. Son premier
succès parisien, « Le Père de famille expliquant la Bible », est une
scène du genre, dans laquelle se trouvent réunies toutes les qualités exigées
par l’amateur : le sujet austère, le décor avec ses détails familiers, et
les personnages bien attendrissants : les enfants, la grand-mère et le
chien. Le chien plaît beaucoup. N’oublions pas que c’est le temps où J.-J.
Rousseau vante les mérites du Turc, où Mme du Deffand pleure à tous les échos
« sa pauvre défunte Mitounette », et où le « Mercure de
France » publie, sur la fugue d’un chien, des poésies pour amis des
bêtes :
Filles sensibles, tendres époux,
N’épargnez pas vos pleurs, je
conçois vos tourments,
Azor a fui, Dieux ! quelle
main jalouse
A pu le dérober à vos embrassements ?
Un amateur influent, M. de la Live de Jully, acheta
« Le Père de famille », sa Bible et son chien. Il fit partout de tels
éloges de Greuze qu’il réussit, en 1755, avec l’appui de Pigalle, à faire
agréer le peintre à l’Académie française, ce qui lui donnait le droit d’exposer
au Salon du Louvre.
Les œuvres de ce disciples des Hollandais séduisirent les
critiques, Diderot le premier : « Quel peintre !... Quelle
composition !... Ces tableaux font honneur à son esprit, ils font l’éloge
de son cœur... Il est le Molière de la peinture. » Diderot, philosophe,
homme de goût, critique excellent, oriente Greuze vers une esthétique
littéraire. Selon les théories de l’encyclopédiste, les tableaux doivent
exprimer des sentiments, ils doivent avoir un sens pathétique, et ce pathétique
doit être moral.
Le peintre est chargé d’une mission sociale.
Diderot donne ses conseils en plein air, le long de la
Seine. Sur le quai des Vieux-Augustins, il conduit celui qu’il appelle
« son peintre » chez le père Babuty, son libraire préféré. Dans
« Le Neveu de Rameau », il évoque cette boutique où il venait pour le
seul plaisir de rencontrer Mlle Babuty, la jolie Gabrielle, fille du
libraire : « Je l’ai bien aimée, moi, quand j’étais jeune
et qu’elle s’appelait Mlle Babuty. Elle occupait une petite boutique de
libraire sur le quai des Vieux-Augustins ; poupine, blanche et droite
comme le lis, vermeille comme la rose. J’entrais avec cet air vif, ardent et
fou que j’avais et je lui disais : « Mademoiselle, les Contes de
La Fontaine, un Pétrone, s’il vous plaît ? –Monsieur, les voilà, ne vous
faut-il point d’autres livres. – Pardonnez-moi, Mademoiselle, mais –Dites
toujours... – « La Religieuse en chemise » ? –Fi donc !
Monsieur ! Est-ce qu’on a... est-ce qu’il lit ces vilenies-là ? –
Ah ! Ah ! ce sont des vilenies, Mademoiselle ! Moi, je n’en
savais rien !... »
Greuze admire la taille bien prise, la gorge parfaite, les
épaules, le visage, les yeux ingénus, les lèvres bien dessinées de Mlle Babuty.
Mais il est aussi timide que sensuel et, s’il revient souvent la voir, il n’ose
lui demander de poser pour lui, il lui
achète des livres... c’est tout. Désireux de faire comme les maîtres, le
peintre cherche le mécène qui l’emmènera en Italie. C’est l’abbé Gougenot,
associé libre de l’académie de peinture et de sculpture, qui se chargera de
montrer les ruines romaines au nouvel agréé. Il y séjournera deux années,
portraiturant les ambassadeurs, et croquant les paysannes florentines ou les
petits mendiants napolitains.
A son retour à Paris, il n’a pas oublié les charmes de
Gabrielle Babuty. Hélas ! la boutique du libraire a changé de
propriétaire. Diderot lui donne la nouvelle adresse du père Babuty, en bas de
la rue Saint-Jacques. Cette rue, qui commence entre Saint-Séverin et Saint-Julien-le-Pauvre,
après avoir été le chemin des pèlerins de Compostelle, est, en 1759, le marché
permanent du livre et de l’image. C’est le rendez-vous des libraires, des
imprimeurs, des relieurs et des marchands d’estampes qui ont pris la place des
six mille écrivains copistes, des enlumineurs et des parchemineurs du
Moyen-Age. Rue Saint-Jacques, on compte une trentaine de libraires, une
trentaine d’autres se tiennent entre Notre-Dame et le Palais, quelques-uns sur
les ponts, et seulement une demi-douzaine sur la rive droite, dont deux au
Théâtre –Français. Les libraires de la rue Saint-Jacques et de Notre-Dame
attendent chez eux la clientèle de la rive opposée : c’est alors que l’on
voit se créer le métier nouveau de courtier en livres. « Quelques hommes
indigents s’avisèrent de prendre un sac par leurs épaules, qu’ils avaient
rempli de livres achetés ou pris à crédit dans les boutiques ; quelques
pauvres femmes, à leur exemple, en remplirent leurs tablier, et les uns et les
autres passèrent les ponts et se présentèrent aux portes des particuliers. Les
libraires, dont ils facilitaient le débit, leur firent une petite remise qui
les encouragea. Leur nombre s’accrut, ils entrèrent partout, ils trouvèrent de
la faveur. »
Diderot défend les intérêts de M. Babuty et des libraires
qu’il fréquente ; il maltraite ces marchands non syndiqués qui
s’installent à leur compte dans les boutiques de la rive droite, « des
gens sans qualités, sans mœurs, sans lumières, guidés par l’unique instinct de
l’intérêt ». L’encyclopédiste a besoin de l’appui des libraires en cette
année 1759, qui marque le début de la bataille de l’« Encyclopédie ».
En effet, c’est le 8 mai que, retirant le privilège, on a obligé les libraires
à indemniser les souscripteurs. L’interdiction du pape ne servira à rien ;
chacun souhaitant vivement la continuation de
l’ « Encyclopédie », aucun souscripteur ne se présenta pour
recevoir le remboursement de ses soixante-douze livres.
Gresset, qui raconta si bien l’histoire de Vert-Vert, le
perroquet impertinent, détestait la rue Saint-Jacques, parce qu’il devait la
traverser pour se rendre au collège. Il l’a décrite dans un moment
d’humeur :
Cette
pédantesque rue,
Où
trente faquins d’imprimeurs...
Faquins ou pas, les meilleurs sont là, en souvenir, peut-être,
de la première imprimerie qui y fonctionna, à l’enseigne du Soleil d’Or,
ameutant tous les scribes de l’université au XVe siècle. Tout ce qui
s’imprime passe par ce quartier ; on édite, au coin de la rue de la
Huchette, les almanachs, et l’on vend, à côté, les jeux de l’oie et les images
saintes.
Entre un rôtisseur et un apothicaire, le père Babuty a
ouvert sa seconde boutique, où J.-B. Greuze, amoureux, sera pris au piège du
mariage.
Pour Gabrielle, qui a atteint la trentaine, le peintre est
un parti avantageux. Il est bien de sa personne, il est connu, il est protégé
par M. Diderot et il peint des tableaux convenables. Il su profiter des conseils du bon
encyclopédiste, le libertin, professeur de morale à ses
heures : « Monsieur Greuze, lui a dit l’auteur des « Bijoux
indiscrets » écoutez-moi... Boucher, Lagrenée et le jeune Fragonard
mettent assez de fesses dans leurs tableaux, n’en mettez pas dans les
vôtres. »
Greuze, obéissant, ne met dans ses compositions que des
enfants, des felles, des vieillards et des animaux. Et tous ses modèles
pensent, et tous sont chargés d’exprimer des idées philosophiques. Pour se
distraire de ses travaux de psychologie appliquée, le peintre vient faire la
conversation chez Mlle Babuty. Il aime à contempler ses yeux, ses lèvres, sa
gorge où tremble une croix de Jeannette, symbole d’innocence. Les propos de M.
Greuze sont aimables, à peine galants. Elle l’encourage à faire mieux par ses
regards et ses pressions de mains, mais il conserve une attitude réservée.
Cette histoire d’amour se termine par un mariage. L’amoureux transi épouse la
belle Gabrielle. Ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants, c’est ce
qu’on serait tenté d’écrire, si Greuze n’avait laissé un démenti à cette
conclusion. En 1791, après trente-deux ans de vie conjugale, le peindre décide
de reprendre sa liberté. Il veut divorcer et rédige un long mémoire désespéré,
émouvant et ridicule. Dans ce texte peu connu qu’il destinait au procureur, on
devine, à travers les ressentiments du mari bafoué, quelques attendrissements
du mari bafoué au souvenir des amours d’autrefois :
Citoyen,
Je vais vous révéler, malgré moi, des choses sur lesquelles j’avais
jeté un voile funèbre ; vous verrez que l’on a entassé outrages sur
soutrages ; mon honneur, ma vie, ma fortune et celle de mes enfants,
engloutis par une mère dénaturée.
Peu de jours après être revenu de Rome, je ne sais par quelle fatalité,
je passais dans la rue Saint-Jacques, j’aperçus Mlle Babuty dans son
comptoir ; elle était fille de libraire ; je fus frappé d’admiration,
car elle avait une très belle figure. Je demandais à acheter des livres pour
avoir le temps de l’examiner.
Bien que trente ans soient passés, il n’a pas oublié
l’émotion qu’il ressentait devant la beauté de Gabrielle. Il fallut sept années
au peintre amoureux pour découvrir qu’elle était ce que Diderot appelle, par
euphémisme, « la femme la plus violente ».
Mlle Babuty me connaissait, ma réputation était déjà commencée, j’étais
reçu à l’Académie.
Ici, Greuze confond les termes, il ne sera reçu qu’en août
1769, à cette époque, il est seulement agréé.
... elle avait près de trente et quelques année,
par conséquent menacée de faire la Sainte-Catherine toute sa vie ; elle
employa toutes les cajoleries possibles pour m’engager de l’aller revoir, et
que je n’avais que faire de prétextes, que l’on me verrait toujours avec
plaisir. Je continuai à faire des visites pendant, à peu près, l’espace d’un
mois. Un après-midi, je la trouvais plus animée qu’à son ordinaire ; elle
tenait une de mes mains et, me regardant d’un air passionné, elle me dit :
« Monsieur Greuze, m’épouseriez-vous si j’y consentais ?é Je vous
avouerai que je fus confondu de pareille question ; je lui
dis : « Mademoiselle, n’est-t-on pas trop heureux de passer sa
vie avec une femme aussi aimable que vous ? » Je crois que cette
manière de répondre était tout à fait insignifiante ; cela n’empêcha pas
que sur-le-champ elle prit son parti, et, dès le lendemain matin, elle s’en fut
avec sa mère sur le quai des Orfèvres, elle fit faire, chez M. Strass, des
boucles d’oreilles de diamants faux et, le lendemain, elle n’eut rien de plus
pressé que de les mettre à ses oreilles.
Comme elle demeurait dans une boutique, toutes les voisines ne
manquèrent pas de lui en faire compliment, et de lui demander qui est-ce qui
les lui avait données ; et, à demi voix, les yeux baissés, elle
disait : « C’est M. Greuze qui m’en a fait présent. – Vous êtes
donc mariée ? – Ha, non ! » (comme on dit oui, en secret, à tout
le monde) Mes amis ne tardèrent pas à m’en faire compliment ; je les
assurai qu’il n’y avait rien de plus faux et que je n’étais pas dans un état de
fortune à me marier. Outré d’une pareille effronterie, je n’y retournai plus.
Je demeurais alors dans le faubourg Saint-Germain, rue du Petit-Lion, dans un
hôtel garni que l’on appelait l’hôtel des vignes. Il s’était passé trois jours
sans que j’eusse entendu parler de rien ; je l’avais même déjà oubliée,
lorsqu’un beau matin elle vint frapper à ma porte, accompagnée d’une petite
cuisinières qu’elle avait ; je ne répondis point : elle savait que
j’y étais, elle redouble des pieds, des mains, une vraie furie. Alors, voyant
qu’elle pouvait se perdre de réputation, j’ouvris ma porte ; elle se
précipite dans mon appartement, tout en larmes ; alors elle me
dit : « J’ai tort, Monsieur Greuze, mais c’est l’amour qui m’a
égarée ; c’est l’attachement que j’ai pour vous qui m’a fait servir d’un
pareil stratagème ; ma vie est entre vos mains. » Alors elle se
précipite à mes genoux, elle me dit qu’elle ne se relèvera pas que je ne lui
aie promis de l’épouser, elle tenait mes deux mains qu’elle baignait de ses
larmes ; j’en eux pitié et je lui promis tout ce qu’elel voulut.
Cependant, nous ne fûmes mariés que deux ans après, dans la paroisse de
Saint-Médard, qui n’était pas la sienne, de crainte des plaisanteries qu’on
aurait pu faire, attendu qu’elle avait dit qu’elle était mariée.
Parmi ses croquis, Greuze écrit sur un carnet : « Le but
du mariage ?... Deux être se réunissent pour se garer du malheur. »
Cette union, commencée par un mensonge, se poursuit durant sept ans selon la
définition du peintre.
De la rue du Petit-Lion à la rue de la Sorbonne, puis à la
rue Pavée, M. et Mme Greuze transportent leur amour et leurs enfants.
Mme Geoffrin dit qu’ils en ont une « fricassée ».
Le mot déplaît à Greuze qui se fâche. On ne doit pas se moquer de ces fillettes
dont les joues rondes et les menottes inspirent l’heureux père des
« Petites filles en camisole » et des « Enfants gâtées ».
Ce foyer est joyeux jusqu’au jour où Mme Greuze trouve trop lourde la tâche de
veiller sur ses enfants. On les met au couvent, où elles resteront, l’une onze
ans et l’autre douze, presque abandonnées. L’aînée, recevant la visite de son
père, lui dit un jour en pleurant : « Il y a un an et sept jours
que maman ne nous a pas vues. » Maman, dont Greuze est toujours follement
amoureux, est trop occupée de sa beauté, de ses toilettes et de son train de
vie. Son ambition provoque le premier drame, lorsque le peintre donne à graver
son fameux « Paralytique » :
Madame Greuze crut apercevoir une lueur de fortune et me dit :
« Monsieur, il me faut un domestique ! » Je lui
répondis : « Vous savez que nous n’avons pas de rentes et que,
par conséquent, ce n’est pas une chose que nous puissions faire, dans ce
moment-ci surtout, mais si vous voulez attendre après Pâques et si la vente est
bonne je ferai en sorte de vous satisfaire. » Pour toute réponse elle
m’appliqua un soufflet à tour de bras ; je vous avouerai que je fus tout
transporté de colère et que je lui rendis.
Nous voici fort loin des scènes d’heureuse intimité, des
compositions du peintre où se mêlent aimablement la vertu et le bonheur
familial ! Pour gérer à sa guise les biens de la communauté, Gabrielle
brouille son mari avec les graveurs, ses amis, et s’occupe elle-même de la
vente des estampes exécutées d’après ses œuvres. L’imprudent ne connaît rien
aux affaires et, lorsqu’il demande des comptes, on ne lui en donne pas :
Quelquefois, je me suis avisé de calculer et de
dire : « Vos comptes ne me paraissent pas clairs ». Elle me
répondait : « Monsieur, vous n’y entendez rien ! et croyez
que je régis vos affaires mieux que vous ne le feriez vous-même ! »
Je rentrais dans mon atelier, mes pinceaux à la main.
Mme Greuze est indiscutablement douée pour le commerce,
puisqu’elle réussit à vendre pour trois cent mille livres d’estampes. Mais elle
est distraite et elle dépense sans compter. En colifichet, produits de beauté
et autres fantaisies, elle dilapide cent vingt mille livres. Lorsqu’il lui faut
expliquer cette « erreur de caisse », elle raconte à son mari une
histoire de placement dans une entreprise maritime ! Cette affaire aurait
rapporté beaucoup d’argent si le vaisseau n’avait été pris par les Anglais.
Elle prétend avoir oublié le nom du bateau comme celui du capitaine, et
finalement, dans sa colère, déchire tous les registres. De plus, elle a pris
l’habitude de faire tirer à cinq cents exemplaires, qu’elle vend pour son
compte, les épreuves que son mari lui donne pour la récompenser de ses travaux.
Jean-Baptiste ne reverra pas un centime de ces cent vingt mille livres.
La passion continue de l’aveugler, il ne peut résister au
charme capiteux de Gabrielle. Diderot, qui surveille l’évolution de « son
peintre », a noté le trouble que dégagent les portraits de Mme
Greuze : « Cette bouche entr’ouverte, cette attitude
renversée, ce cou gonflé, ce mélange voluptueux de peine et de plaisir font
baisser les yeux et rougir toutes les honnêtes femmes... Si les femmes passent
vite devant ce morceau, les hommes s’y arrêtent longtemps, j’entends ceux qui
s’y connaissent et ceux qui, sous prétexte de s’y connaître, viennent jouir
d’un spectacle de volupté forte, et ceux qui, comme moi réunissent les deux
motifs. »
Le critique se montre moins satisfait du « Portrait de
Madame Greuze enceinte » exposé au Salon du Louvre en 1765. Un peintre
a-t-il le droit d’offrir ainsi sa femme au public ? L’artiste a penché la
figure en avant et, par cette attitude, prétend Diderot, il semble dire au
spectateur : « Voyez la gorge de ma femme ! – Je la vois,
monsieur Greuze, je la vois !... Eh bien ! votre femme a la gorge
molle et jaune, si elle ressemble, tant pis encore pour vous, pour elle et pour
le tableau ! » Le critique rapporte ensuite le mot de M. de
la Martellière qui, voyant un galant se rendre chez son épouse
murmura : « Oui... oui... mais j’attends la cuisse ! »
Et en conclusion, Diderot
revient à la gorge qui l’a tant choqué : « Mme Greuze a la tête aussi fort
belle et rien n’empêchera M. Greuze de dire aussi, quelque jour, entre ses
dents : « Oui, mais je l’attends à la gorge ! » Cela
n’arrivera pas, car sa femme est sage...
Sage, elle ne le demeurera pas bien longtemps ! Les
succès de Greuze, sa renommée, sa clientèle augmentent d’année en année. Au
Louvre, où il est logé, les plus jolies femmes de Paris viennent commander leur
portrait, les amateurs les plus difficiles désirent posséder une de ses toiles.
On se presse pour admirer ses dernières œuvres. Dans l’atelier, les hommes
admirent surtout le séduisant modèle, qui porte encore sur la poitrine la
petite croix d’or qui charmait Diderot, mais qui avait fait dire à un
prédicateur : « Peut-on plus mal placer la croix, symbole de
mortification ? »
La petite libraire a changé. Elle a pris le ton et les
manières des coquettes professionnelles, elle est provocante, effrontée,
recherche le compliment et minaude en battant des cils. Son élégance est aussi
agressive que son décolleté, et cette gorge à peine découverte sur les tableaux
de son mari, elle la montre généreusement à la ville. Elle est parfumée, fardée
et parée de mouches coquines. Ce genre de séduction ne peut amener que le
désordre.
Le premier petit-maître qui la courtise de façon sérieuse,
Blondel d’Azincourt, est un amateur d’art qui fréquente tous les ateliers du
Louvre. Il est élégant, joli garçon, il sait parler aux femmes. Mme Greuze
n’attend même pas qu’il la supplie : à peine lui a-t-il fait quelques
grâces qu’elle lui accorde un rendez-vous.
Dès son arrivée dans l’atelier conjugal, elle lui ouvre les
bras et l’entraîne derrière le paravent réservé au déshabillage des modèles.
Charmé par un accueil si chaleureux, Blonde d’Azincourt prend l’habitude de
venir saluer de galante manière le plus joli modèle de tout le Louvre. Dans les
ateliers voisins, nul n’ignore l’aventure, car les amants imprudents ne se
cachent guère. Abrités par le paravent, ils ne prennent même pas la précaution
de pousser le verrou, ce verrou si cher aux graveurs polissons.
Ce qui devait arriver arriva : le mari les
surprit : M. Blondel d’Azincourt conservant sa dignité, ajusta son habit,
mit de l’ordre dans sa coiffure, remit ses bottes et salua M. Greuze. Malgré
l’évidence, Gabrielle s’obstine à prétendre qu’il n’y a entre elle et l’amateur
d’art que l’attachement d’une pure amitié. Le peintre souligne dans son mémoire
les conséquences de cette mésaventure qui n’a rien de sentimental : M.
d’Azincourt eut grande part au désagrément que j’éprouvai à l’Académie, parce
qu’il était lié avec tous les artistes ; j’ai violemment soupçonné madame
Greuze d’avoir préparé ce désagrément avec lui. Ce n’est donc plus ma femme, c’est une ennemie avec qui je
suis obligée de vivre que je vais trouver à chaque pas.
L’épouse trop coquette, ayant goûté le fruit défendu, attire
ensuite derrière le paravent un élève de son mari : Je rentrai un jour sur les neuf
heures, je trouvai Madame Greuze fort embarrassée de sa figure, mon élève
debout devant la cheminée ne sachant que devenir ; je crus qu’il convenait
de renvoyer ce jeune homme et je le fis. Alors le désespoir fut dans la maison,
Madame Greuze, toujours un poignard à la main pour se tuer, n’en faisant
cependant rien, et je fus inexorable.
L’écho des querelles du ménage dépasse le cercle des
artistes et cause de grands torts au peintre des belles familles. Dans toute
l’Europe on connaît la scandaleuse aventure du couple, et Diderot, l’ancien
protecteur de Greuze, s’oppose à son départ pour la Russie où Catherine II
désirait l’inviter. En juillet 1767, il communique sa décision à
Falconet : « Tout bien considéré, nous n’enverrons point
Greuze en Russie. C’est un excellent artiste, mais c’est une mauvaise tête. Il
faut avoir ses dessins et ses tableaux et laisser là l’homme. Et puis sa femme
est, d’un consentement unanime, la plus méchante créature qu’il y ait au
monde. »
Le conseil, transmis à l’impératrice par Falconet, est suivi
à la lettre. Falconet reçoit, en octobre de la même année, un message de
Catherine II : « Je renonce, non aux ouvrages de Greuze, mais
bien au personnage et à sa digne moitié. »
La « digne moitié » irrésistiblement entraînée
vers la dissipation, choisit mal ses jeunes partenaires. Elle conduit, toujours
derrière le paravent du péché, le fils d’un fruitier, un garnement dont le plus
grand mérite est d’avoir dix-sept ans à peine... Le pauvre Greuze se contente
de noter les faits : Bientôt Madame Greuze changea de goût ;
certain fruitier-oranger qui m’avait servi lorsque je restais rue des Vieux
–Augustins, chez un vitrier, en chambre garnie, m’avait fourni des
falourdes ; il vint me voir et me dit que son fils avait des dispositions
pour la peinture, que je l’obligerais infiniment si je voulais lui donner des
conseils. Il avait seize à dix-sept ans, et Madame Greuze près de
cinquante ; ce jeune homme lui plut...
Il lui plut tellement qu’elle commit l’imprudence de lui
confier des objets et des estampes qu’il vendit, sans remettre l’argent à sa
protectrice : Ce jeune homme était devenu libertin, je crois que Mme Greuze eut bien
à s’en plaindre, puisqu’elle le fit arrêter comme lui ayant volé quinze mille
livres. Il fut conduit chez M. Muron, exempt de police ; le père fut
averti pour réclamer son fils ; ce galant homme, désolé de voir soupçonné
son fils de vol, ne put s’empêcher de dire : « Madame, mon fils
est un enfant et vous êtes une femme raisonnable ; pourquoi lui avez-vous
confié une si grande somme ? Mais comme je suis un honnête homme et que je
ne veux pas que vous perdiez tout, je vous donne sur ma maison, sise rue des
Vieux-Augustins, deux mille livres, que vous prendrez après ma mort. »
l’acte fut passé chez un notaire, dont elle a reçu l’argent à la mort de cet
honnête homme, dont une partie fut employée à acheter en carrosse.
Hélas ! le greluchon indélicat avait laissé à
l’amoureuse quinquagénaire une autre « incommodité », comme dit le
mari berné : Elle fut obligée d’avoir recours à M. de Veluose, qui avait un
excellent sirop anti-vénérien qui ne réussit pas... et elle fut obligée d’avoir
recours à M. Louis, chirurgien secrétaire de l’Académie de chirurgie, qui
termina la cure.
Greuze, oubliant son infortune, accepte de soigne lui-même
l’épouse victime de l’amour ; peut-être espère-t-il, par ce dévouement,
ramener la paix dans son ménage. Illusion ! quelques semaines plus tard il
surprend, derrière un autre paravent, un nouveau galant dans les bras de sa
femme : Elle fit la connaissance de M. de Saint-Maurice, conseiller au
parlement... Sa figure en dessous, son air sournois et rampant, m’en avaient si
fortement imposé qu’il fallait que je le visse pour le croire ; il avait
si cruellement corrompu son cœur que les atrocités ne lui coûtaient rien.
Rentrant chez moi, je la trouvai derrière le paravent, dans le salon de
compagnie, dans une situation qui n’était point équivoque ; je me retirai,
et, le lendemain, je luis fis des reproches, elle me dit : « Cela est
vrai, mai sje m’en fous ! »
Cette insolente réponse n’empêche pas le peintre de
poursuivre un tableau commencé : « L’Innocence offrant deux
pigeons », dont le modèle est, malgré toute sa perfidie, l’incorrigible
Gabrielle. Son mari est le dernier à la regarder avec une certaine indulgence,
plus ou moins amoureuse, car dans Paris, elle s’est acquis une très fâcheuse
renommée. Aux étalages des libraires, dans les bureaux d’images, on affiche une
caricature ainsi dédicacée : « A très haute, très puissante, très
ridicule dame, femme de J.-B. Greuze, reçu jadis peintre de genre sur un
tableau d’histoire... » Greuze
acheta, pour les détruire, de nombreux exemplaires de cette estampe, mais le
tirage était trop important pour qu’il pût en arrêter la diffusion.
Ni l’injure ni le blasphème ne peuvent complètement altérer
à ses yeux le charme troublant de la coquine ; cette fois, elle a dit la
vérité : »Elle s’en fout ! » Elle se moque de tout ce qui
n’est pas son beau souci : ses atours et sa beauté. Cette année-là, la
mode est si passionnante ! rose Bertin, la modiste de la nouvelle reine,
vient de lancer les « poufs aux sentiments », étranges coiffures qui
permettent, grâce à la variété des objets qu’elles contiennent, d’afficher les
goût et les préférences de celles qui les portent. On y voit les ornements les
plus curieux. Un chroniqueur a laissé une description du pouf aux sentiments
confectionné pour la duchesse de Chartres : « Au fond était une femme assise
sur son fauteuil et tenant un nourrisson, ce qui désignait le duc de Valois et
sa nourrice. A droite était un perroquet becquetant une cerise, oiseau précieux
de la princesse ; à gauche était un petit nègre, image de celui qu’elle
aimait beaucoup ; le surplus était garni d’une touffe de cheveux du duc de
Chartres, son mari, du duc de Penthièvre, son père, du duc d’Orléans, son
beau-père. Tel était l’attirail dont la princesse se chargeait la tête. »
Un autre pouf aux sentiments, celui de la duchesse de Lauzun,
attira l’attention de la comtesse d’Adhémar qui en a donné le détail dans ses
« Souvenirs » : « La duchesse parut un jour chez la marquise
du Deffand avec un pouf délicieux ; il offrait tout un paysage en
relief : d’abord une mer agitée, des canards nageant sur ses bords, un
chasseur à l’affût prêt à les coucher en joue ; sur le sommet un moulin
dont la meunière se faisait courtiser par un abbé, et, tout au bas de
l’oreille, on voyait le meunier conduisant un âne. »
On raconte que le pouf porté par Mme Greuze comprenait un
jardinet dans lequel passait son carrosse, tandis que sur le côté droit, debout
devant son chevalet, on reconnaissait M. Greuze, ce qui était une attention
délicate ; l’ensemble était complété par un couple de colombes et les
miniatures encadrées des demoiselles Greuze.
Cet étalage de sentimentalité n’empêche pas Gabrielle de
poursuivre ses méfaits. Elle a brouillé son mari avec la plupart des artistes
du Louvre. Mieux vaut déménager. Greuze transporte, en 1780, ses meubles, ses
chevalets et ses toiles rue Thibotodé, où il peint encore des scènes de la vie
de famille, alors qu’il n’a plus de foyer : Madame Greuze abandonnait sa
maison aux domestiques, négligeant même sa cuisine au point que ses casseroles
étaient probablement pleines de vert-de-gris ; je le présume, car on me
fit chauffer un bouillon que je pris la veille de Noël et qui me mit aux portes
de la mort ; car je fus quatorze heures dans les convulsions sans
secours ; vainement l’on envoya chercher les chirurgiens et les médecins,
personne ne voulut venir, que vers les sept heures du matin0
Faute de preuves, Greuze n’accuse pas sa femme d’avoir tenté
de l’empoisonner, mais en revanche, il est formel quand il raconte qu’elle a
voulu l’assommer : Nous couchions toujours dans la même
chambre ; lorsque je me réveille en sursaut. J’aperçus Madame Greuze, à la
lumière d’une lampe de nuit, qui allait m’écraser la tête avec son pot de
chambre ; et alors je lui fis, comme vous devez bien penser, de vifs
reproches... Elle me dit : « Si tu raisonnes, je crie à la garde, par
la croisée, et je dirai que tu m’assassines. »
Les péripéties de cette nuit pénible, indiscrètement
rapportées dans le quartier, amusent tellement les voisins que le peintre est
contraint de déménager de nouveau. Il va habiter dans la rue Basse, près de la
porte Saint-Denis, et, par prudence, installe dans une chambre séparée celle
qu’il aime encore. L’épouse ne s’en plaint pas : une chambre bien meuble
est plus propice à l’aventure qu’un paravent fragile ! Dans l’escalier
Greuze croise des jeunes gens qui ne le saluent même pas. Je vis monter, vers les sept
heures du soir, un jeune homme d’environ trente ans, qui, jadis avait été
coiffeur. J’entrai chez elle sur-le-champ et je lui demandai ce qu’il voulait,
que je n’avais pas l’honneur de le connaître ; il me dit tout
bonnement : « Je viens voir Madame Greuze » et je lui
répondis : « Ma femme ne reçoit que les hommes que je lui ai
présentés et je ne vous connais pas. » Il me dit : « Cela
m’est égal, et je viendrai chaque fois que Madame Greuze le requerra. »
Froissé de tant d’insolence, le mari bafoué se retire dans
son atelier où il s’obstine à peindre le bonheur des autres. Le divorce,
prononcé le 4 août 1793, mettra enfin un terme à cet enfer conjugal et fera
disparaître à tout jamais l’odieuse Gabrielle de la vie du peintre.
Lorsque la R2volution a dispersé sa noble clientèle, il
s’efforce de suivre encore les modes littéraires. Lui, qui autrefois, s’est
attendri avec l’Opéra-Comique, qui a prêché la repopulation avec J.-J. Rousseau
et la morale avec Diderot et Marmontel, se lance dans l’illustration du drame.
Il exécute « la Malédiction paternelle » et « le Fils
puni ». Mais la conception esthétique obéit à la politique : le
public ne veut plus de vertu villageoise, il exige de la vertu romaine ;
David a vaincu Greuze, les casseroles de la bonne ménagère disparaissent, on ne
veut plus voir que des casques et des glaives. Les amateurs désertent l’atelier
du vieux maître, qui doit demander un secours financier à la nation. Le 9 juin
1792, Louis XVI sanctionne un décret de l’Assemblée Nationale accordant à
Greuze une pension de mille cinq cent trente-sept livre et dix sols.
Le peintre des sentiments a tenté vainement de mettre sa
peinture au goût du jour. Il n’a pas le style révolutionnaire. Ni son
« Départ des volontaires » ni sa « Mort de Marat » ne
ramènent vers lui la faveur des clients. Il exécute quelques portraits, ceux de
Dumouriez, Lavoisier, Robespierre, Talleyrand, du lieutenant Bonaparte et de
Joséphine de Beauharnais. Cependant, sous le Consulat, let toiles de ce petit
vieillard à cheveux blancs, frisés en ailes de pigeon, se vendent à bas prix.
« On en trouve jusque chez les charbonniers et dans les étalages de la
rue. »
Les Bonaparte sont gentils pour lui. On lui passe la
commande d’un portrait du Premier Consul. Il doit demander un acompte pour
acheter du matériel : mille francs, en 1801. Lorsqu’il s’éteint, en 1805,
sans avoir achevé le portrait, le « Journal de Paris », qui autrefois
avant chanté sa gloire sur trois colonnes, publie un entrefilet annonçant en
trois ligne la mort du « célèbre Greuze, l’auteur de ces compositions
pleines de charme »...
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