samedi 23 novembre 2013

Un Fou et un Sage


Fable inspirée du fabuliste latin imitateur d'Esope, Phèdre
Walkenaer aurait retrouvé une note manuscrite aujourd'hui disparue dans laquelle on pouvait lire que la fable avait été « faite contre le sieur abbé Du Plessis, une espèce de fou sérieux


Certain fou poursuivait à coups de pierre un sage.
Le sage se retourne, et lui dit:« Mon ami,
C'est fort bien fait à toi, reçois cet écu-ci :
Tu fatigues assez pour gagner davantage.
Toute peine, dit-on, est digne de loyer.
Vois cet homme qui passe, il a de quoi payer ;
Adresse-lui tes dons, ils auront leur salaire.»
Amorcé par le gain, notre fou s'en va faire
Même insulte à l'autre bourgeois.
On ne le paya pas en argent cette fois.
Maint estafier accourt : on vous happe notre homme,
On vous l’échine, on vous l'assomme.
Auprès des rois, il est de pareils fous :
A vos dépens ils font rire le maître.
Pour réprimer leur babil, irez-vous
Les maltraiter ? Vous n'êtes pas peut-être
Assez puissant. Il faut les engager

A s'adresser à qui peut se venger.

Le Renard Anglais

Cette belle fable est dédiée à Ann Montagu, la veuve de l’ambassadeur de Charles II d’Angleterre en Turquie. Madame Harvey était la sœur du duc Ralph Montagu. Le frère et la sœur étaient connus pour la liberté de leurs mœurs.


Le bon cœur est chez vous compagnon du bon sens,
Avec cent qualités trop longues à déduire,
Une noblesse d'âme, un talent pour conduire
                Et les affaires et les gens,
Une humeur franche et libre, et le don d'être amie
Malgré Jupiter même et les temps orageux.
Tout cela méritait un éloge pompeux;
Il en eût été moins selon votre génie :
La pompe vous déplaît, l'éloge vous ennuie.
J'ai donc fait celui-ci court et simple. Je veux
                Y coudre encore un mot ou deux
                En faveur de votre patrie :
Vous l'aimez. Les Anglais pensent profondément;
Leur esprit, en cela, suit leur tempérament:
Creusant dans les sujets, et forts d'expériences,
Ils étendent partout l'empire des sciences
Je ne dis point ceci pour vous faire ma cour.
Vos gens à pénétrer l'emportent sur les autres
                Même les chiens de leur séjour
                Ont meilleur nez que n'ont les nôtres.
Vos renards sont plus fins, je m'en vais le prouver
                Par un d'eux qui, pour se sauver
                Mit en usage un stratagème
Non encore pratiqué, des mieux imaginés.
Le scélérat, réduit en un péril extrême,
Et presque mis à bout par ces chiens au bon nez,
                Passa près d'un patibulaire.
                Là, des animaux ravissants,
Blaireaux, renards, hiboux, race encline à mal faire,
Pour l'exemple pendus, instruisaient les passants.
Leur confrère, aux abois entre ces morts s'arrange.
Je crois voir Annibal, qui, pressé des Romains,
Met leurs chefs en défaut, ou leur donne le change,
Et sait, en vieux renard, s'échapper de leurs mains.
            
  Les clefs de meute  parvenues
A l'endroit où pour mort, le traître se pendit,
Remplirent l'air de cris : leur maître les rompit,
Bien que de leurs abois ils perçassent les nues.
Il ne put soupçonner ce tour assez plaisant.
« Quelque terrier, dit-il, a sauvé mon galant.
Mes chiens n'appellent point au-delà des colonnes
                Où sont tant d'honnêtes personnes.
Il y viendra, le drôle ! » Il y vint, à son dam.
                Voilà maint basset clabaudant,
Voilà notre renard au charnier se guindant.
Maître pendu croyait qu'il en irait de même
Que le jour qu'il tendît de semblables panneaux:
Mais le pauvret, ce coup, y laissa ses houseaux.
Tant il est vrai qu'il faut changer de stratagème!
Le chasseur, pour trouver sa propre sûreté,
N'aurait pas cependant un tel tour inventé ;
Non point par peu d'esprit ; est-il quelqu'un qui nie
Que tout Anglais n'en ait bonne provision?
              Mais le peu d'amour pour la vie
                Leur nuit en mainte occasion.

              

  Je reviens à vous, non pour dire
                D'autres traits sur votre sujet ;
              Tout long éloge est un projet
              Peu favorable pour ma lyre.
                Peu de nos chants, peu de nos vers,
Par un encens flatteur amusent l'univers
Et se font écouter des nations étranges.
              Votre prince vous dit un jour
                Qu'il aimait mieux un trait d'amour
                Que quatre pages de louanges.
Agréez seulement le don que je vous fais
                Des derniers efforts de ma Muse.
                C'est peu de chose ; elle est confuse
                De ces ouvrages imparfaits.
                Cependant ne pourriez-vous faire
                Que le même hommage pût plaire
A celle qui remplit vos climats d'habitants
                Tirés de l'île de Cythère ?
                Vous voyez par là que j'entends
Mazarin, des Amours déesse tutélaire.


Toi et Moi Post – Scriptum

XXIV
               Post – Scriptum

Tu n’as écrit hier que deux petites pages.
C’est donc bien gai là-bas que tu m’oublies ? Tu dois
Te fatiguer, voir trop de monde. Sois donc sage !
Il faut te reposer. Ecris-moi ! Pense à moi !
Et puis ne mets pas tant cette robe nouvelle.
Elle te va si bien ! Je ne suis pas jaloux.
Mais, là-bas, tu n’as pas besoin d’être si belle,

L’air te la fanera. Garde-là donc pour nous.

Toi et Moi Post- Scriptum

XXV
   Post- Scriptum


J’ai bu ta lettre avec une hâte fiévreuse.
Mais toi, lorsque ces mots écrits te parviendront,
Peut-être seras-tu dans un groupe, joyeuse…
Ton amie te dira : « Ma chère, lisez donc ! »
Mais t’éventant avec ma lettre sans la rompre,
Ayant vérifié l’adresse du regard
Peut-être diras-tu, pour ne pas t’interrompre :

« Ce n’est rien… Ce n’est rien… Je lirai ça plus tard… »

Toi et Moi Distance

XXVI
          Distance


Il m’a troublé comme un enfant
Ton rendez-vous au téléphone.
J’avais dit, plus d’une heure avant,
Qu’on ne laissât entrer personne
Dans la chambre où j’avais éteint
Pour t’attendre toutes les lampes.
Je sentais bourdonner mes tempes.
Et je n’étais pas bien certain,
Seul au fond de cette ombre pleine
De la promesse de ta voix,
Que je n’allais pas contre moi
Sentir le vent de ton haleine…
Lorsque ton brusque appel tinta
Je crois que mon sang s’arrêté
Dans mes veines plusieurs secondes…
Puis tu parlas. Je t’entendis.
Mais tous les mots que tu me dis
Semblaient venir du bout du monde.
Elle avait dû, ta pauvre voix,
Parcourir d’une seule haleine
Des collines, des champs, des plaines,
Des villes, passer sous des bois,
Longer des fleuves et des routes…
Et c’était pour cela sans doute
Qu’elle m’arrivait, cette voix,
Si changée, si diminuée,
Si ténue et si dénuée,
Que ce n’était presque plus toi
Qui parlais dans la chambre sombre,
Mais quelque chose comme l’ombre
Ou le fantôme de ta voix…
Je m’étais dit, ma chère absente,
Que je te sentirais penchée
Vers ma bouche, et sinon présente
Du moins mille fois plus rapprochée…
Mais au contraire à ce moment
La distance semblait accrue
Entre nous indéfiniment…
Et soudain tu m’es apparue
Au bout de ce fil décevant,
Si désespérément lointaine,
Que je me suis trouvé, devant
Ce téléphone, avec ma peine,
Plus seul et plus perdu qu’avant.




Toi et Moi Bruit de voix

XXVII
      Bruit de voix


Tu as eu tort ! Tu as eu tort ! Je te répète
Que tu as eu grand tort ! Et tu le sais bien
Oui, mais voilà : tu n’en veux faire qu’à ta tête !...
Oh ! Ne  pleure pas, va ! Ça n’arrangera rien.
Bois ton thé. Que ce soit fini ! Voilà deux heures
Que nous perdons à batailler, à discuter.
Bois ton thé. Parlons d’autre chose… Bois ton thé !
Je te préviens que je m’en vais, moi, si tu pleures !
Mais qu’est-ce que j’ai dit ? Mais qu’est-ce que tu as ?
Eh bien, soit ! C’est moi qui ai tort, là ! Grand tort même.
Et maintenant, essuie tes yeux… Mais oui, je t’aime !
Tu le sais bien !... Mais nom de Dieu ! Ne pleure pas !...
Tu dis ? Je t’ai fait mal ? Je ne t’ai pas touchée !
Où ça t’ai-je fait mal ? Allons, embrasse-moi,
Et que ce soit fini ! Là. Tu n’es plus fâchée ?
Alors ne boude plus ! Bois ton thé. Allons, bois !
Tu mettras de la poudre un peu plus tard. Tu m’aimes ?
C’est sûr ? Prends un mouchoir : le tien est tout mouillé.
Qu’est-ce-que vous voulez encore ? Un peu de crème ?
Un nuage ? Voilà, Madame. Vous voyez :
J’ai beau crier fort, c’est toujours moi qui cède !
Vous avez vos grands yeux tout gonflés, tout ternis,
Tout rouges. Voulez-vous sourire, Hou ! Qu’elle est laide !

Allons ! Embrassez-moi. Là. Voilà. C’est fini.

mercredi 20 novembre 2013

Toi et Moi Habitude

XXVIII
Habitude


Tu veux savoir pourquoi, sans cause,
Je fais ce soit mes yeux mauvais…
Je pense à d’anciennes choses,
A des robes que tu avais

J’ai beau chercher, je ne vois point
En nous de changements notables.
A peine y a-t-il un peu moins
De fleurs aujourd’hui sur nos tables…

Pourtant, pourtant, je me souviens
D’un autre temps, d’une autre flamme…
Il me semble que tu deviens
Une femme comme les femmes.


Toi et Moi Passé

XXIX
 Passé


Tu avais jadis, lorsque je t’ai prise,
Il y a trois ans,
Des timidités, des pudeurs exquises.
Je te les ai désapprises.
Je les regrette à présent.
A présent, tu viens, tu te déshabilles,
Tu noues tes cheveux tu me tends ton corps…
Tu n’étais pas si prompte alors.
Je t’appelais : ma jeune fille.
Tu t’approchais craintivement
Tu avais peur de la lumière.
Dans nos plus grands embrassements,               
Je ne t’avais pas  entière…
Je t’en voulais. J’étais avide,
Ce pauvre baiser trop candide,
De le sentir répondre au mien.
Je te disais, tu t’en souviens :
« Vous ne seriez pas si timide
Si vous m’aimiez tout à fait bien !... »
Et maintenant je la regrette
Cette enfant au front sérieux,
Qui pour être un peu plus secrète,
Mettait son bras nu sur ses yeux.


Toi et Moi Sagesse

XXX
        Sagesse

Ne soyons pas trop exigeants :
Le Bonheur n’est pas accessible
A toutes les sortes de gens.
Il faudrait être moins sensibles,
Ou bien avoir beaucoup d’argent…
Ne demandons pas l’impossible.
Nous devons nous trouver contents
D’être les êtres que nous sommes :
Des amoureux intermittents
Qui sont fou l’un de l’autre en somme
De temps en temps.
C’est déjà beaucoup d’être deux,
Deux côte à côte sur la Terre,
Qui peuvent souffrir entre eux
Et vivre sans trop se taire.
Et si l’on est plus exigeant,
Si l’on se sent en y songeant
L’âme encor trop célibataire,
C’est qu’on a mauvais caractère…
Ou qu’on est trop intelligent.


Mea Culpa

XXXI
        Mea Culpa

Au fond, vois-tu, mon erreur,
Ma grande folie,
C’est d’avoir chargé ton cœur
De tout le poids de ma vie.
Le jour où l’on s’est aimé
J’ai cru qu’en ce cœur offert
J’allais pouvoir enfermer
Tout mon univers.

C’est de cette  erreur profonde
Que maintenant nous souffrons.
On ne fait pas tenir le monde
Derrière un front

Ton cœur est tendre et sincère,
Ardent et soumis.
Mais, tout seul, pouvait-il faire
Que je me passe de ma mère
Et de mes amis ?



Finale

XXXII
 Finale

Alors, adieu, Tu n’oublies rien ?... C’est bien. Va-t’en
Nous n’avons plus rien à nous dire. Je te laisse.
Tu peux partir… Pourtant, attends encore, attends.
Il pleut… Attends  que cela cesse.

Couvre-toi bien surtout ! Tu sais qu’il fait très froid
Dehors. C’est un manteau d’hiver qu’il fallait mettre…
Je t’ai bien tout  rendu ? Je n’ai plus rien à toi ?
Tu as pris ton portrait, tes lettres ?...

Allons ! Regarde-moi, puisqu’on va se quitter…
Mais prends garde ! Ne pleurons pas ! Ce serait bête.
Quel effort il faut faire, hein ? Dans nos pauvres têtes,
Pour revoir les amants que nous avons été !

Nos deux vies s’étaient l’une à l’autre données toutes,
Pour toujours… Et voici que nous les reprenons !
Et nous allons partir, chacun avec son nom,
Recommencer, errer, vivre ailleurs… oh ! Sans doute,

Nous souffrirons… pendant quelques temps. Et puis, quoi
L’oubli viendra, la seule chose qui pardonne.
Et il y aura toi, et il y aura moi,
Et nous serons parmi les autres deux personnes

Ainsi, déjà, tu vas entrer dans mon passé !
Nous nous rencontrerons par hasard, dans les rues.
Je te regarderai de loin, sans traverser,
Tu passeras avec des robes inconnues.

Et puis nous resterons sans nous voir de longs mois,
Et des amis te donneront de mes nouvelles.
Et je dirai de toi qui fus ma vie, de toi
Qui fus ma force et ma douceur : « Comment va-t-elle ? »

Notre grand cœur, c’était cette petite chose !
Etions-nous assez fous, pourtant, les premiers jours
Tu te souviens, l’enchantement, l’apothéose ?
S’aimait-on ! … Et voilà : c’était ça, notre amour !

Ainsi donc, même nous, quand nous disions « Je t’aime »,
Voilà donc la valeur que cela a ! Mon Dieu !
Vrai, c’est humiliant. On est donc tous les mêmes ?
Nous sommes donc pareils aux autres ?... Comme il pleut !

Tu ne peux pas partir par ce temps… Allons, reste !
Oui, reste, va ! On tâchera de s’arranger,
On ne sait pas. Nos cœurs, quoiqu’ils aient bien changé,
Se reprendront peut-être au charme des vieux gestes.

On fera son possible. On sera bon. Et puis,
On a beau dire, au fond, on a des habitudes…
Assieds-toi, va ! Reprends près de moi ton ennui.
Moi près de toi je reprendrai ma solitude.



                                                                                                         

Le Soleil et les Grenouilles

Imitation d'une fable latine



Les filles du limon tiraient du roi des astres
Assistance et protection :
Guerre ni pauvreté, ni semblables désastres
Ne pouvaient approcher de cette nation;
Elle faisait valoir en cent lieux son empire
Les reines des étangs, grenouilles veux-je dire
(Car que coûte-t-il d'appeler
Les choses par noms honorables?)
Contre leur bienfaiteur osèrent cabaler,
Et devinrent insupportables.
L'imprudence, l'orgueil, et l'oubli des bienfaits,
Enfants de la bonne fortune,
Firent bientôt crier cette troupe importune :
On ne pouvait dormir en paix.
Si l'on eût cru leur murmure,
Elles auraient, par leurs cris,
Soulevé grands et petits
Contre l'œil de la Nature.


" Le Soleil, à leur dire, allait tout consumer;
Il fallait promptement s'armer,
Et lever des troupes puissantes. "
Aussitôt qu'il faisait un pas,
Ambassades croassantes.
Allaient dans tous les Etats :
A les ouïr, tout le monde,
Toute la machine ronde
Roulait sur les intérêts
De quatre méchants marais.
Cette plainte téméraire
Dure toujours; et pourtant
Grenouilles devraient se taire,
Et ne murmurer pas tant;
Car si le soleil se pique,
Il le leur fera sentir;
La république aquatique
Pourrait bien s'en repentir.

mardi 19 novembre 2013

Daphnis et Alcimadure

Aimable fille d'une mère
A qui seule aujourd'hui mille cœurs font la cour,
Et quelques-uns encor que vous garde l'Amour,
                Je ne puis qu'en cette préface
                Je ne partage entre elle et vous
Un peu de cet encens qu'on recueille au Parnasse,
Et que j'ai le secret de rendre exquis et doux.
                Je vous dirai donc... Mais tout dire,
                Ce serait trop; il faut choisir,
                Ménageant ma voix et ma lyre,
Qui bientôt vont manquer de force et de loisir.
Je louerai seulement un cœur plein de tendresse,
Ces nobles sentiments, ces grâces, cet esprit :
Vous n'auriez en cela ni maître ni maîtresse,
Sans celle dont sur vous l'éloge rejaillit.
                Gardez d'environner ces roses
                De trop d'épines, si jamais
                L'Amour vous dit les mêmes choses :
                Il les dit mieux que je ne fais,
Aussi sait-il punir ceux qui ferment l'oreille
                A ses conseils. Vous l'allez voir.

                Jadis une jeune merveille
Méprisait de ce dieu le souverain pouvoir :
                On l'appelait Alcimadure :
Fier et farouche Aimable fille d'une mère
A qui seule aujourd'hui mille cœurs font la cour,
Et quelques-uns encor que vous garde l'Amour,
                Je ne puis qu'en cette préface
                Je ne partage entre elle et vous
Un peu de cet encens qu'on recueille au Parnasse,
Et que j'ai le secret de rendre exquis et doux.
                Je vous dirai donc... Mais tout dire,
                Ce serait trop; il faut choisir,
                Ménageant ma voix et ma lyre,
Qui bientôt vont manquer de force et de loisir.
Je louerai seulement un cœur plein de tendresse,
Ces nobles sentiments, ces grâces, cet esprit :
Vous n'auriez en cela ni maître ni maîtresse,
Sans celle dont sur vous l'éloge rejaillit.
                Gardez d'environner ces roses
                De trop d'épines, si jamais
                L'Amour vous dit les mêmes choses :
                Il les dit mieux que je ne fais,
Aussi sait-il punir ceux qui ferment l'oreille
                A ses conseils. Vous l'allez voir.

             

   Jadis une jeune merveille
Méprisait de ce dieu le souverain pouvoir :
                On l'appelait Alcimadure :
Fier et farouche objet, toujours courant aux bois,
Toujours sautant aux prés, dansant sur la verdure
                Et ne connaissant autres lois
Que son caprice ; au reste, égalant les plus belles,
                Et surpassant les plus cruelles ;
N'ayant trait qui ne plût, pas même en ses rigueurs :
Quelle l'eût-on trouvée au fort de ses faveurs ?
Le jeune et beau Daphnis, berger de noble race,
L'aima pour son malheur : jamais la moindre grâce
Ni le moindre regard, le moindre mot enfin,
Ne lui fut accordé par ce cœur inhumain.
Las de continuer une poursuite vaine,
                Il ne songea plus qu'à mourir.
                Le désespoir le fit courir
                A la porte de l'inhumaine.
Hélas! ce fut au vent qu'il raconta sa peine ;
                On ne daigna lui faire ouvrir
Cette maison fatale, où, parmi ses compagnes,
L'ingrate, pour le jour de sa nativité,  
                Joignait aux fleurs de sa beauté
Les trésors des jardins et des vertes campagnes.
« J'espérais, cria-t-il, expirer à vos yeux ;
                Mais je vous suis trop odieux,
Et ne m'étonne pas qu'ainsi que tout le reste
Vous me refusiez même un plaisir si funeste.
Mon père, après ma mort, et je l'en ai chargé,
                Doit mettre à vos pieds l'héritage
                Que votre cœur a négligé.
Je veux que l'on y joigne aussi le pâturage,
                Tous mes troupeaux, avec mon chien,
                Et que du reste de mon bien
                Mes compagnons fondent un temple
                Où votre image se contemple,
Renouvelant de fleurs l'autel à tout moment.
J'aurai près de ce temple un simple monument ;
                On gravera sur la bordure :
Daphnis mourut d'amour. Passant, arrête-toi,
Pleure, et dis : Celui-ci succomba sous la loi
De la cruelle Alcimadure.»
A ces mots, par la Parque il se sentit atteint :
Il aurait poursuivi ; la douleur le prévint.
Son ingrate sortit triomphante et parée.
On voulut, mais en vain, l'arrêter un moment
Pour donner quelques pleurs au sort de son amant.
Elle insulta toujours au fils de Cythérée,
Menant dès ce soir même, au mépris de ses lois,
Ses compagnes danser autour de sa statue.
Le dieu tomba sur elle, et l'accabla du poids :
                Une voix sortit de la nue,
Echo redit ces mots dans les airs épandus :
«Que tout aime à présent : l'insensible n'est plus.»
Cependant de Daphnis l'ombre au Styx  descendue
Frémit et s'étonna la voyant accourir.
Tout l'Erèbe entendit cette belle homicide
S'excuser au berger, qui ne daigna l'ouïr
Non plus qu’Ajax Ulysse et Didon son perfide.
 objet, toujours courant aux bois,
Toujours sautant aux prés, dansant sur la verdure
                Et ne connaissant autres lois
Que son caprice ; au reste, égalant les plus belles,
                Et surpassant les plus cruelles ;
N'ayant trait qui ne plût, pas même en ses rigueurs :
Quelle l'eût-on trouvée au fort de ses faveurs ?
Le jeune et beau Daphnis, berger de noble race,
L'aima pour son malheur : jamais la moindre grâce
Ni le moindre regard, le moindre mot enfin,
Ne lui fut accordé par ce cœur inhumain.
Las de continuer une poursuite vaine,
                Il ne songea plus qu'à mourir.
                Le désespoir le fit courir
                A la porte de l'inhumaine.
Hélas! ce fut au vent qu'il raconta sa peine ;
                On ne daigna lui faire ouvrir
Cette maison fatale, où, parmi ses compagnes,
L'ingrate, pour le jour de sa nativité,
                Joignait aux fleurs de sa beauté
Les trésors des jardins et des vertes campagnes.
« J'espérais, cria-t-il, expirer à vos yeux ;
                Mais je vous suis trop odieux,
Et ne m'étonne pas qu'ainsi que tout le reste
Vous me refusiez même un plaisir si funeste.
Mon père, après ma mort, et je l'en ai chargé,
                Doit mettre à vos pieds l'héritage
                Que votre cœur a négligé.
Je veux que l'on y joigne aussi le pâturage,
                Tous mes troupeaux, avec mon chien,
                Et que du reste de mon bien
                Mes compagnons fondent un temple
                Où votre image se contemple,
Renouvelant de fleurs l'autel à tout moment.
J'aurai près de ce temple un simple monument ;
                On gravera sur la bordure :


Daphnis mourut d'amour. Passant, arrête-toi,
Pleure, et dis : Celui-ci succomba sous la loi
De la cruelle Alcimadure.»
A ces mots, par la Parque il se sentit atteint :
Il aurait poursuivi ; la douleur le prévint.
Son ingrate sortit triomphante et parée.
On voulut, mais en vain, l'arrêter un moment
Pour donner quelques pleurs au sort de son amant.
Elle insulta toujours au fils de Cythérée,
Menant dès ce soir même, au mépris de ses lois,
Ses compagnes danser autour de sa statue.
Le dieu tomba sur elle, et l'accabla du poids :
                Une voix sortit de la nue,
Echo redit ces mots dans les airs épandus :
«Que tout aime à présent : l'insensible n'est plus.»
Cependant de Daphnis l'ombre au Styx descendue
Frémit et s'étonna la voyant accourir.
Tout l'Erèbe entendit cette belle homicide
S'excuser au berger, qui ne daigna l'ouïr
Non plus qu'Ajax, Ulysse, et Didon son perfide.