vendredi 18 octobre 2013

Un Samouraï est Passé

Je sais, je n’aurais pas dû intervenir puisque je ne pouvais rien y faire. Mais je n’ai pas pu m’en empêcher, lorsque j’ai vu les deux gardes approcher du « Petit » et le regarder d’un air méchant, en particulier celui qu’on appelle le Balafré, à cause de la cicatrice que lui a laissé un coup de sabre sur le front et la joue. Il avait beau se dépêcher, le Petit, il n’arrivait pas à suivre la cadence ; les autres essayaient pourtant de lui laisser les pierres les moins lourdes à porter.
-Alors, a dit le Balafré, on fainéante ?
-Plus vite, a ajouté l’autre en levant son lourd bâton. Le Petit n’a pas répondu ; il s’activait autant qu’il pouvait, on voyait les veines saillir sur ses bras comme de gros fils de chanvre.
Non, je n’ai pas pu résister, je suis intervenu malgré moi :
-Laissez-le ! On l’aidera à finir sa tâche, nous tous. Pas vrai, vous autres ?
J’ai haussé la voix, mais les villageois, tout autour, ont fait semblant de ne pas entendre, se pressant, sans lever la tête, pour porter les pierres et pour les entasser.
Il faut vous dire que tous les hommes valides du village ont été amenés là, au bord de la rivière, afin de construire une digue pour le jito(1). Personne n’a le droit de refuser les corvées du jito, ni les impôts du jito qui atteignent jusqu’aux deux tiers de la récolte de riz… Et, cette année, on dit même qu’il en réclame davantage.
Bref, les villageois n’ont pas voulu affronter avec moi les gardes en face. Même pas mon compagnon, Oreille Coupée. Quand ils ont vu cela, les gardes ont commencé à m’entreprendre :
-De quoi t’occupes-tu, chien de zomin(2) ?
-Comment oses-tu nous adresser la parole ?
-On va t’apprendre à vouloir dresser les gens contre nous !
Le Balafré a sorti son sabre, l’autre a commencé à me frapper avec son bâton. Je me suis reculé, sautant, essayant d’éviter les coups, ou tout du moins de les amortir. Mais, quand le Balafré s’est mis à me frapper avec le plat de son arme, j’ai plus ou moins perdu la tête et j’ai voulu me sauver, courant à travers les roseaux, au bord de la rivière.
Je dois dire que là non plus personne n’a réagi parmi mes compagnons ; c’est vrai que je ne suis pas grand-chose, un simple zomin,, ne sachant rien faire d’autre que de  travailler du matin au soir ; seulement, moi, je ne refuse jamais d’aider les autres, d’essayer de me rendre utile…
Les gardes ont couru après moi avec des cris de rage. Ils m’ont rattrapé facilement, à moins de deux cho(3) de la digue en construction, parce que mon pied s’est pris dans une racine et que je suis tombé de tout mon long.
Alors les gardes ont recommencé à me battre du bâton et du plat du sabre, avec plus de violence qu’auparavant, sans oublier les coups de sandale dans les côtes. J’essayais de me recroqueviller, de me faire tout petit, de protéger ma tête avec mes mains… A la fin c’est le Balafré lui-même qui s’est arrêté en disant :
-Suffit ! après, il ne pourra plus travailler.
-Tu as raison, a approuvé l’autre, Et que la leçon te serve, chien de zomin !
-Dépêche-toi d’aller rejoindre tes compagnons.
Je souffrais beaucoup en me relevant, surtout du dos et de la nuque. Je suis même tombé une fois, mais les deux gardes ne recommencèrent pas à crier, contrairement à ce que j’attendais. En levant la tête, je vis qu’ils étaient en train de regarder un grand gaillard assis sur une pierre et qui soutenait fixement leur regard. A son costume, pantalons bouffants, veste, à sa touffe de cheveux, à ses deux sabres, je reconnus un samouraï, un ronin sans doute, c’est-à-dire, un samouraï sans maître.
samouraiLes deux gardes devaient se sentir sûrs d’eux après leur facile victoire contre moi. Le Balafré l’interpella :
-Hola ! qui êtes-vous, avec votre katana et votre wakisaski(4) ? Savez-vous qu’une loi interdit le port des armes(5) ?
L’homme sur sa pierre se mit à rire. Il avait des dents de loup :
-Je suis un guerrier, un samouraï ! Et j’ai parfaitement le droit de porter les armes… Si vous ne me croyez pas, vous pouvez toujours essayer de me les enlever.
Sa voix défiait, dédaigneuse. Cependant les gardes, s’apercevant brusquement de leur erreur, ne savaient plus que faire et battaient en retraite, sans rien dire. Ils reculaient lentement ; mais, lorsque le ronin se leva, abandonnant toute dignité, ils prirent leurs jambes à leur cou.
J’étais toujours sur le sol. Je me relevai enfin. A vrai dire, le samouraï me faisait peur aussi, mais je ne voulais pas le laisser paraître. M’approchant de la berge, je me mis à m’asperger le corps d’eau fraîche, et cela me fit du bien.
Maintenant, c’était le ronin qui me regardait.
-Comment t’appelles-tu ? demanda-t-il.
-Je n’ai pas de nom, je suis zomin.
-Et comment fait-on, si l’on veut t’appeler ?
-On crie « ho ! » ou bien « hé, toi ! ».
Le samouraï riait. Il semblait jeune, ses yeux brillaient.
-Tu me parais vigoureux, dit-il
-Je crois que je le suis, seigneur.
-Alors, pourquoi ne te défends-tu pas lorsque l’on t’attaque ?
-Je ne peux pas, seigneur, ce sont des gardes de notre maître, le jito de toutes les terres de la région… Et puis, eux, ils ont des sabres.
Le ronin sembla réfléchir
-Ecoute-moi, reprit-il soudain. J’ai besoin d’un serviteur, veux-tu le devenir ?
Un serviteur… Je ne savais que répondre, tant la proposition me surprenait.
-Je… je ne sais pas, seigneur.
-Si tu deviens mon serviteur, zomin personne ne te touchera plus. Nous partirons ensemble, nous voyagerons. Mais il faut que tu sois digne d’être mon serviteur.
-Comment cela, seigneur ?
-Le serviteur d’un ronin comme moi doit savoir se battre, et d’abord de ses mains nues. Je t’apprendrai. Si tu apprends bien, alors tu pourras être mon serviteur.
Mes yeux devaient s’écarquiller d’incompréhension, car le samouraï me dit :
-Va-t’en travailler maintenant, je t’attendrai ici ce soir. Compris ?
J’ai salué en courbant la tête et je suis parti rejoindre les autres.
Tout le reste du jour, j’ai pensé à la proposition du ronin. Ma rencontre avec lui me paraissait tellement extraordinaire… j’ai aidé le Petit autant que j’ai pu. Les autres aussi, d’ailleurs, car les gardes étaient partis.
Le soir, je ne savais quoi faire. J’ai hésité longtemps, mais à la fin je suis parti en courant au bord de la rivière. Le samouraï m’attendait. A mon approche, il se défit de ses sabres et les posa avec précaution sur une grosse pierre.
-Très bien, dit-il, nous allons commencer tout de suite.
Il se passa alors quelque chose qui me laissa stupéfait : je fis une découverte, celle de la puissance de mon corps, de toutes ses possibilités. Mais je vais trop vite… Le samouraï m’expliqua :
-La force n’est pas l’essentiel ; la souplesse compte beaucoup plus. Grâce à elle, tu as non seulement ta force propre, mais aussi celle de ton adversaire. Tu vas comprendre. Tiens, attaque-moi.
Je n’osai pas tout d’abord. Il me tendait les bras, prêt à la bataille. J’avais confiance dans mes muscles : souvent je portais tout seul des troncs d’arbres que les autres ne pouvaient même pas soulever. Il insista :
-Viens ! Allons…
Je bondis en avant et je l’empoignais aux épaules, mais soudain il se laissa glisser sur le dos ; j’allais tomber sur lui, quand je me sentis projeté en arrière et m’écrasai bêtement à terre en étouffant un cri.
Lui était déjà debout, souriant.
-Cela s’appelle le sutemi(6), dit-il.
Et il entreprit de me faire connaître la vraie façon de se barre, celle qui permet de gagner sûrement.
-Encore une fois, il s’agit d’utiliser contre lui les mouvements et la force de ton adversaire. Il te pousse, tu tires ou tu tournes ; il te tire, et c’est toi qui pousses…
Il me montra des koshi waza : les ashi waza et les te waza (7)
-C’est tout cela que tu vas apprendre, dit-il, tandis que je me laissais tomber sur le sol, hors d’haleine, mais ébloui par ces révélations. Je songeais aux gardes, au Balafré surtout… Je ne savais rien faire encore, mais j’avais déjà envie qu’ils m’attaquent.
-Comment savez-vous toutes ces choses, seigneur ?
-Je les ai apprises, tout simplement, j’ai eu un maître qui lui-même a été l’élève du grand Oakiayama Shirobei Yoskitoki, celui qui a introduit chez nous le ju-jutsu(8).
Il parait que c’était un médecin, un homme qui soigne ceux qui sont malades (dans notre village, il n’y a pas de tels hommes) ; il était parti en voyage dans un endroit lointain qu’on appelle la chine et qui se trouve après la mer. La mer, je ne sais pas trop ce que c’est ; le samouraï dit : beaucoup d’eau réunie… là-bas, en Chine, le médecin apprit quelques règles d’attaque et de défense. En revenant chez nous, il réunit des élèves autour de lui pour leur apprendre ces règles.
-Mais les élèves, dit le samouraï, s’ennuyèrent vite à recommencer sans cesse les mêmes mouvements, et ils quittèrent bientôt leur maître l’un après l’autre. Oakiyama se retira alors dans un lieu isolé pour méditer en paix. Au bout de cent jours de réflexion, il regarda autour de lui et vit que la neige tombait. Elle tombait si fortement que son poids faisait se briser les branches de tous les arbres, sauf celles des saules. Les branches des saules pliaient, mais ne cassaient pas. Ce fut pour Oakiyama la révélation. S’appuyant sur ce qu’il avait appris en Chine, il mit au point trois cent techniques de combat fondées sur la souplesse et créa ainsi la célèbre école du Cœur de Saule(9).
Une nouvelle fois, j’ouvris des yeux émerveillés. J’étais fort, soit, mais le samouraï me montra des mouvements que je devais faire et refaire tous les jours pour être souple et pouvoir appliquer le ju-jutsu… ainsi passa le temps jusqu’à la nuit.
-Reviens demain dit alors le samouraï, je crois que je ferai quelque chose de toi.
Je me sentais immensément fier et reconnaissant.
-Arrête tes courbettes, reprit-il, et va-t’en.
Je m’empressai de décamper. Tout le monde semblait dormir au so (village). Je me glissai à ma place, sur la paille de la grange. Mais mon compagnon Oreille Coupée, lui, ne dormait pas.
-Où étais-tu ? souffla-t-il
Il ne me laissa pas répondre et reprist :
-Tu sais que tout le monde parle et murmure…
-A propos de quoi ?
-A propose de la corvée et des gardes. Pendant qu’on s’occupe de la digue pour le jito, le riz s’abime.
-Je sais bien. Seulement tout à l’heure, lorsque j’ai voulu défendre le Petit, personne ne m’a soutenu.
-Les gens ont peur, les gardes son féroces. Moi, on m’a coupé l’oreille l’année dernière parce que je parlais trop fort.
-Oui… Et alors, qu’avez-vous décidé ?
-Rien de précis. Beaucoup voudraient attaquer les gardes, tous ensemble, avec ceux des autres villages. Ils disent que souvent cela fait supprimer les corvées, et que les jito, après, demandent moins de riz.
Nous avons réfléchi à tout cela. Oreille-Coupée et moi, et puis nous nous sommes endormis, si bien que je n’ai rien raconté ce soir-là à mon compagnon. Le lendemain, nous avons repris notre travail, les gardes ne se sont presque pas montrés. Et le soir, le cœur battant, je suis allé retrouver le samouraï surf la berge.
-Alors ! me dit-il d’emblée, viens-tu te battre ?
Je n’hésitais pas, bien que sachant qu’il allait me vaincre tout de suite. En effet, à peine nous étions-nous empoignés qu’il s’est servi de sa hanche comme pivot pour me soulever, me faire tourner et me jeter au loin telle une plume… Un bon moment, nous avons ainsi lutté ensemble, et il m’a montré des coups et des parades ; il semblait content de moi, et je crois en effet que j’apprenais vite.
Plus tard, tandis que nous reprenions haleine, il me dit :
-En vérité, tu seras un bon serviteur et tu feras respecter ton maître, même sans armes. Sais-tu que ce n’est pas rien de lutter et que nous avons eu des lutteurs célèbres ?
Il me raconta l’histoire de cet empereur qui avait deux fils et qui ne savait lequel prendre pour lui succéder. Il demanda à chacun de choisir un lutteur et celui qui choisit le vainqueur du grand combat qui se déroula alors, celui-là devint empereur à la mort de son père !
Le samouraï aimait beaucoup parler et connaissait bien des histoires. Cela devait aussi l’amuser de m’apprendre à lutter. Sans doute n’avait-il rien d’autre à faire. Moi, j’évitais simplement de lui répondre lorsqu’il me parlait d’être son serviteur.
Cela me tracassait fort, pourtant, et je finis par tout raconter un soir à Oreille-Coupée. Il m’écouta avec émerveillement, resta quelques instants silencieux et dit :
-Ce serait peut-être bon pour toi… mais pas pour le village.
-Pourquoi ?
-Il y a une loi : lorsqu’un paysan quitte son village sans permission, tous les habitants peuvent être punis par le jito !
-Tu es sûr ?
-Certain.
Ces paroles me rendirent sombre, mais Oreille-Coupé changea de conversation
-Dis-moi, ton samouraï, qui a l’air de connaître tant de manière de se battre, t’a-t-il parlé du cri qui tue ?
-Du cri qui tue ?
-Oui. Cela existe, paraît-il. Interroge-le là-dessus.
Cette histoire m’intrigua tellement, que, dès le lendemain soir, je posai la question, malgré ma timidité.
Le ronin ne me rit pas au nez, comme je le craignais. Il réfléchit avant de me répondre :
-Je ne connais pas de cri qui tue. Je ne crois pas qu’il existe. Mais mon maître a parlé du cri comme d’une chose importante : le cri, c’est l’appel, le signe de la peur et du mal. La voix, comme le regard, exprime ton énergie, la projette jusqu’à ta cible. Le kiaï(10) accompagne l’effort intense et peut agit sur un adversaire, l’arrêter, lui faire peur… Comprends-tu ?
En vérité, j’essayais de comprendre, sans être sûr d’y réussir.
-Et maintenant, reprit le samouraï, nous allons recommencer nos projections.
On recommença… Après plusieurs soirées, il entreprit de m’apprendre d’autres techniques du ju-jutsu, les atami waza(11). J’aimerai beaucoup cela. En plaçant mes coups dans le vide, j’imaginais le Balafré, là, devant moi…
Quelques temps après, le samouraï s’en alla en me disant :
-Je reviens dans cinq jours ; pendant ce temps, réfléchis. A mon retour, si tu es d’accord, nous partirons ensemble. Tu as encore beaucoup à étudier pour te perfectionner, mais déjà, en peu de temps, tu es devenu redoutable, grâce aux quelques prises  et façons de frapper que tu as retenues.
C’est vrai, encore une fois, je semblais très doué, j’apprenais la souplesse sans difficulté ; il faut dire que je m’entraînais beaucoup en cachette, malgré la fatigue du travail journalier.
Le samouraï s’en alla, et je me mis à rêver à la vie qui serait la mienne à ses côtés. Je savais qu’il était un maître au sabre ; moi, je devrais veiller pour qu’on ne le prenne pas en traître durant ses combats. Outre les projections et les atami, il allait m’apprendre encore les nombreux osae waza, shime waza(12). Quelle perspective exaltante : je travaillerais moins et on m’admirerait.
En attendant, la vie continuait, et le mécontentement des paysans ne faisait que croître. La nuit, des émissaires partaient même vers d’autres so, pour essayer de s’entendre avec leurs habitants. C’était difficile de s’organiser, tant la crainte était grande. Il se trouvait toujours quelqu’un pour rappeler comment les seigneurs réprimaient les révoltes par le fer et par le feu… Mais, d’autre part, chacun en avait assez des gardes et de la corvée sur la digue, et surtout des impôts annoncés : il faudrait livrer plus de sacs de riz que les champs n’allaient en produire ! Et cela sous prétexte qu’il y avait dans un village voisin quelques réserves pour les mauvais jours. En vérité, il me semblait bien qu’en dépit de la crainte et du manque d’organisation la révolte finirait par éclater.
Un matin, en sortant de ma grange, je me trouvai nez à nez avec le Balafré et un autre garde, celui-là même qui m’avait battu au bord de la rivière. J’essayai de m’éloigner mais ils me barrèrent la route, heureux de cette rencontre qui allait permettre à leur cruauté de se donner libre cours une nouvelle fois.
-Hé ! chien de zomin, que fais-tu là encore ?
-C’est vrai, le jour est bien levé, tu devrais être en train de travailler !
Ils étaient vraiment de mauvaise foi, car l’ensemble des villageois partait seulement aux champs, avant de se retrouver plus tard sur la digue ; les voisins nous regardaient sans oser intervenir, bien sûr, même Oreille- Coupée.
Pour la première fois, je regardais les deux gardes dans les yeux. J’éprouvais une assurance tranquille. Je souhaitais même qu’ils m’attaquent, guettant sans avoir l’air le moindre deleurs mouvements
-Tu ne réponds pas, chien de zomin ?
-Tu veux qu’on t’ouvre la bouche ?
Soudain une idée me déchira le cœur, m’enlevant ma belle assurance. Je venais de penser aux conséquences. D’accord, j’étais maintenant capable de les assommer tous les deux, de les tuer même. Et après ? j’imaginais les cris, l’arrivée d’autres gardes, en masse. Si je fuyais, ils me rattraperaient, je ne pourrais, seul ; les exterminer tous… et ils se vengeraient sur les autres. Alors, à quoi me servaient les leçons du samouraï ? A rien ?
-Tu ne nous as pas salués, chien de Zomin. Tu dois te courber à notre passage. Entends-tu ?
Je crois que c’est un kami (esprit) bienveillant qui me souffla ce que je devais faire : montrer ma force, pour ne pas avoir à m’en servir… A ce moment, je me trouvais presque acculé à la barrière d’une maison, une barrière solide, faite de pieux réunis horizontalement par des bambous.
J’ai pivoté brusquement, me penchant en arrière ; mon pied droit s’est détendu de toute la force dont je suis capable, et a frappé la barrière à hauteur de poitrine d’homme.
Tout le monde a poussé un cri de saisissement, tandis que la barrière s’effondrait avec un grand bruit.
Le Balafré et l’autre garde étaient devenus très pâles. Ils avaient leurs mains posées sur leurs armes, mais leur geste s’arrêta là. Ils me regardèrent avec une sorte d’incrédulité, puis ils se mirent à reculer comme l’autre fois devant le samouraï. J’attendis sans bouger qu’ils disparaissent.
Ceux des alentours hochaient la tête et faisaient des commentaires que je n’entendais pas. J’ai seulement dit au voisin : -Bien sûr, c’est moi qui réparerai ta barrière.

Le samouraï est revenu le jour dit. Je l’attendais.
-Me voilà, criait-il. J’ai terminé mes affaires par ici, nous partons ! Es-tu prêt ?
J’ai eu une dernière hésitation, avant de répondre avec fermeté :
-Seigneur, je ne peux pas partir ; ma reconnaissance pour vous est immense, mais je ne peux pas partir.
-Pourquoi cela ?
-Seigneur, d’après la loi de chez nous, si un paysan abandonne son village, tout le monde est puni par le jito.
-Que t’importe, imbécile ? Toi, tu seras loin. Tous ces gens qui t’entourent ne valent pas grand-chose ; tu m’as dit toi-même qu’ils ne levaient pas le petit doigt pour te défendre !
-Peut-être, seigneur, le lèveront-ils un jour ? je l’espère.
-Bon, c’est ton dernier mot ?
-Mon dernier, seigneur. Pardonnez-moi…
Ses yeux flamboyèrent et je crus qu’il allait me massacrer sur place. Je le méritais bien. Mais il éclata de rire, haussa les épaules et dit :
-Dommage, tu aurais été un bon serviteur, je le répète.
Et il s’en alla, avec ses sabres, sa démarche fière et sa touffe de cheveux rejetée en arrière…

1 A la fois guerrier et propriétaire terrien.
2 Ouvrier agricole
3 Mesure de longueur japonaise légèrement supérieure à 100 mètres
4 Katana, sabre long ; wakizaski, sabre court
5 En 1588, une loi dite “Confiscation des sabres” interdit la possession de matériel de guerre qui rend difficile la perception des impôts et tend à fomenter des révoltes »…
6 Ce qui signifie « auto-sacrifice ».
Projections sur la hanche : projections avec les pieds et projections par la main
8Pratique de la souplesse. De jutsu, qui signifie « pratique » ou « art » et ju, « souplesse » ou « céder ». Le ju-jutsu (jiu-jitsu) formera plus tard une méthode générale le judo (la « voie de la souplesse »)
9 L’école du Cœur de Saule semble avoir été une des deux écoles japonaises créatrices du ju-jutsu, donc du judo, la deuxième école étant celle d’un policier d’Osaka (Yamamoto Tamizaemon), qui mit au point, en particulier, un certain nombre de technique d’immobilisation.
 10 Kiaï, qui est le cri des arts martiaux, signifie littéralement « concentration de la puissance vitale ».
11 Percussions des pieds ou des mains sur les centres vitaux de l’adversaire.
12 Respectivement : passes d’immobilisation, de strangulation et de luxation des articulations, qui sont aussi des composantes du ju-jutsu

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