mercredi 30 octobre 2013

Molière et Armande Béjart

En 1661, Molière vient s’installer avec sa troupe dans la salle du Palais-Royal que Richelieu avait fait construire pour son usage personnel, quand il avait fait représenter « Mirame », tragédie qu’il avait signée.
Le Palais Royal où les comédiens de Molière attirent, dès les premières représentations un public de qualité, est encore tout neuf. Le jardin, orné par les soins du cardinal de 35.000 charmes et de 25.000 charmilles est l’un des plus beaux de Paris. (Ce qui hélas n’est plus le cas aujourd’hui, les arbres ont été remplacé par du béton et les affreuses «colonnes de Buren » 
Il est si vaste que Mazarin, afin d’entraîner le jeune Louis XIV, y a donné des chasses à courre. Le futur roi de France a passé là son enfance, à la fois dans le luxe et dans une sorte de bohème : les murs étaient couverts d’or mais les draps de lits étaient troués. Pour  apprendre au prince l’art de la guerre, on avait fait construire dans le jardin un fort en réduction. C’est encore dans ce palais, qui s’appelait alors le Palais –Cardinal, qu’il a pris, avec une dame d’honneur d’Anne d’ Autriche, ses premières leçons d’amour.
Le roi de France revient volontiers dans ce décor qui lui rappelle des souvenirs si variés. Il rend visite à sa tante, reine en exil, et à sa cousine, cette Henriette d’Angleterre qu’il marie à son frère, le duc d’Anjou, en 1661. Les jeunes mariés s’installent au Palais-Royal. Monsieur est séduisant mais il porte trop de bijoux, on critique ses goûts efféminés, et l’on critique aussi les hommages prodigués par le roi à  sa jolie belle-sœur. C’est elle-même qui, afin de détourner l’attention de leur badinage, jette Louis dans les bras de Mlle de la Vallière qu’elle juge la plus insignifiante, la plus naïve de ses dames d’honneur.
Louis XIV est si touché par l’amour sincère et pur de Louise qu’il lui donnera quatre enfants. Leur romanesque aventure fait sourire les belles ambitieuses. La jeune femme est installée dans une dépendance du palais, l’hôtel Brion, où son royal amant vient la retrouver sous prétexte de se rendre à la salle de billard aménagée au rez-de-chaussée.
Dans le quartier du Palais-Royal, la belle clientèle vient faire ses emplettes : Les marchands qui font des garnitures de rubans ont leurs boutiques dans les cours, salles et galeries du Palais ; il y a aussi plusieurs boutiques de lingères qui vendent des dentelles et garnitures de tête... Il s’y fait également grand commerce de parfums, onguents et pommades, et les meilleurs produits viennent de chez Martial, le parfumeur du roi – dont Molière fait mention dans « la Comtesse d’Escarbagnas » - et qui fabrique devant Louis XIV les parfums qui lui sont destinés. Sa Majesté a sans doute conservé le souvenir de certains gants de senteur, dont les exhalaisons empoisonnées ont fait périr la reine de Navarre.

 Quant aux perruques qui « s’établissent » sur toutes les têtes et coûtent jusqu’à mille écus, les meilleures, les plus belles, les plus lourdes, sont celles de l’illustre M Binet, qui fait celles du roi, et qui demeure rue des Petits-Champs. C’est à lui que le souverain et la plupart des hauts personnages de la cour doivent les deux tiers de leur prestance. Les tresses descendent jusqu’au coude et le toupet domine le front de cinq à six pouces. Ce modèle prestigieux porte le nom de son créateur : on le nomme une « binette ».  On dit en plaisantant que « plus la binette est large, plus le respect du peuple va croissant ». Lorsque l’usage des perruques aura disparu, on dit encore, à propos d’une tête ridicule : « Quelle drôle de binette ! »

Afin de se rapprocher de son nouveau théâtre, Molière déménage et emmène sa tribu rue Saint-Thomas-du-Louvre où il a loué, au coin de la rue Saint-Honoré, face au Palais-Royal, une maison assez vaste pour loger neuf personnes : Marie, la veuve du père Béjart, Madeleine, sa sœur Geneviève, son frère Louis, Armande et le Ménage de Brie, dont Molière ne peut se passer. Le marin qui joue les « utilités » a une si grande admiration pour le « maître » qu’il oublie d’en être jaloux. Sa douce épouse, Catherine, la plus jolie, la plus tendre des ingénues, a pris l’habitude de consoler Molière de tous ses ennuis, elle lui ouvre son cœur et ses bras dès qu’il le lui demande. Madeleine, à  quarante-huit ans, acariâtre et jalouse, fait des scènes fréquentes, aggravées par la présence d’Armande, jeune gille qu’elle dit être sa sœur et dont Molière, plus ou moins consciemment, est devenu amoureux. Il l’a vue grandir, se transformer en femme. Madeleine, devinant le danger tente, par mille moyens, d’empêcher cette intrigue. Catherine de Brie, jalouse elle aussi, essaie de conserver l’amour de Molière. Armande, ne cherche qu’à se faire épouser par le directeur-auteur. Quant à Molière, il ne rêve que des charmes de cette jeune coquette de dix-neuf ans. Il a vingt ans de plus qu’elle. Dans les coulisses on chuchote qu’elle n’est pas, ainsi qu’on l’a prétendu, la sœur de Madeleine, mais sa fille. L’amoureux ne veut rien entendre.
Chapelle, un de ses bons amis, s’amuse de le voir, comme le Jupiter d’Homère, aux prises avec trois femmes, Junon, Minerve et Vénus :
                                   Tiens-toi neutre, et, tout plein d’Homère,
                                   Dis-toi bien qu’en vain l’homme espère
                                   Pouvoir venir jamais à bout
                                   De ce qu’un grand dieu n’a su faire.

Junon, c’est, dans l’esprit de Chapelle, Madeleine, qui craint l’influence d’Armande sur Molière amoureux ; Vénus, c’est la blonde Catherine, complaisante et voluptueuse ; quant à Minerve, c’est la jolie du Parc, sur son piédestal, encensée par le vieux Corneille, courtisée par Molière, qui a écrit pour lui plaire de petits vers galants. Cette coquette-née lui fait peu de scènes de jalousie, car elle se préoccupe uniquement de séduire, de séduire n’importe qui. Tous les moyens lui sont bons, le « Mercure de France » nous dit même qu’elle montre ses jambes « au moyen d’une jupe ouverte des deux côtés, avec des bas de soie attachés au haut d’une petite culotte ». C’est aussi Armande, froide et calculatrice, que l’on peut comparer à Minerve.

Personne, dans l’entourage de Molière, ne reconnaît le joyeux poète qui chantait, hier encore, des poésies composées pour ses amoureuses :
                                   Enfin, soit que tu promènes
                                   Tes beaux yeux, qui sont mes rois,
                                   Sur l’onde ou parmi les plaines,
                                   Sur les monts ou dans les bois,
                                   Tout fait « lan la Landeridette »
                                   Tout fait « Lan la Landerida »...

Il a perdu le goût de chanter, pris à la fois par les travaux du théâtre, la pièce qu’il écrit, les colères de Madeleine, les agaceries d’Armande et les tendres reproches de Catherine. Grimarest a relaté ce moment de la vie de Molière, qui ressemble à l’enfer de M. Sartre : La Béjart, qui le soupçonnait de quelque dessein sur sa fille, le menaçait souvent en femme furieuse et extravagante de le perdre, lui, sa fille et elle-même, si jamais il pensoit à l’épouser. Cependant la jeune fille ne s’accomodoit point de l’emportement de sa mère, qui la tourmentoit continuellement, et qui la fesoit essuyer tous les désagréments qu’elle pouvoit inventer.

Un pamphlet, publié en 1688, « La Fameuse Comédienne », donne une version différente du comportement de Madeleine, jalouse de Catherine depuis plusieurs années :
Comme Madeleine vit que c’était un mal sans remède, elle prit le meilleur parti, qui était de s’en consoler, en conservant toujours sur Molière l’autorité qu’elle avait eue, et l’obligeant à prendre des mesures pour cacher le commerce qui était entre lui et la De Brie. Ils demeurèrent quelques années en cet état. Cependant la petite Béjart commençait à se former, ce qui donna la pensée à sa mère, qui avait perdu depuis longtemps l’espérance de faire revenir Molière à elle, de le rendre amoureux, était fort bien faite ; et Armande, qui n’a aucun trait de beauté, n’avait point dans sa jeunesse ces manières qui l’ont, depuis, rendue recommandable.
Mais de quoi une femme jalouse ne vient-elle pas à bout lorsqu’il s’agit de détruire une rivale ? Elle remarquait avec plaisir que Molière aimait fort la jeunesse, qu’il avait de plus une inclination particulière pour sa fille, comme l’ayant élevée... Enfin, elle conduisit si bien la chose, qu’il crut ne pouvoir mieux faire que de l’épouser. La de Brie, qui s’aperçut des desseins secrets de sa rivale, mit, de son côté, tout en usage pour empêcher l’accomplissement d’un mariage qui offensait si fort sa gloire. Rien ne lui paraissait si cruel que de céder un amant à une petite créature qu’elle jugeait, avec quelque raison, lui être inférieure en mérite ; elle en témoigna son inquiétude à Molière et le mit en quelque incertitude par ses reproches. Il conservait beaucoup d’honnêteté pour elle, et il avait des gages de son amour qui le mettaient dans la nécessité d’avoir ces sortes d’égards...

Des égards, il en avait aussi pour Madeleine, la fidèle compagne de sa jeunesse, responsable de sa vocation et de sa réussite
Madeleine Béjart était la fille d’un huissier des eaux et forêts  de France à la Table de Marbre de Paris. Elle avait compris, dès sa quinzième année, qu’une file jolie et intelligente n’avait rien à  attendre dans le foyer encombré d’enfants d’un modeste fonctionnaire aux fins de mois difficiles. Quand elle fut lasse d’emmailloter des petits frères et des petites sœurs, elle alla chercher la situation que ses charmes lui permettaient d’espérer. Elle la trouva...

A dix-huit ans, « émancipée d’âge », elle possède déjà une petite maison dans le quartier à la mode, rue de Thorigny, à quelques pas de l’aristocratique place Royale et de cette rue Vieille-du-Temple où la bonne société se bouscule pour aller voir représenter « Le Cid » de Corneille, au théâtre du Marais. La fille de l’huissier des Eaux et Forêts est fort séduisante : beaux yeux, bouche parfaite, teint clair et cheveux roux ; elle ne manque pas d’esprit et sait même, à l’occasion trousser quelques vers. Lorsque Rotrou, l’un des familiers de l’hôtel de Rambouillet, termine sa tragédie « Hercule mourant », elle lui adresse, comme tout le monde, un poème de circonstance :

                                   Ton Hercule mourant va te rendre immortel,
                                   Au ciel comme sur la terre, il publiera ta gloire,
                                   Et, laissant icy-bas un temple à ta mémoire,
Son bûcher servira pour te faire un autel.

On ignore si Madeleine a choisi toute seule la carrière théâtrale qui lui permit de rencontrer son premier amoureux sérieux ou si, au contraire, c’est lui qui, afin d’augmenter son prestige de gentilhomme parisien, eut l’idée de pousser sa conquête vers les planches.

Ce prince Charmant, le noble chevalier Esprit-Rémond de Moirmoiron, seigneur de Modène et autres lieux, est chambellan de Gaston, frère du roi Louis XIII. Il est amateur de comédie et de comédiennes, et comme il habite l’hôtel de Guise, voisin du théâtre du Marais, c’est là qu’il passe une partie de son temps. on peut admettre qu’il a installé Madeleine, la jolie rousse, à côté de chez lui, dans cette maison de la rue de Thorigny, uniquement parce qu’il aime le théâtre, car Esprit –Rémond de Moirmoiron est marié et père de famille. Malheureusement pour la morale  de l’histoire, cette situation n’empêche pas les sentiments. Madeleine met au monde, le 3 juillet 1638, une petite fille bien constituée dont le duc de Modène tient essentiellement à faire savoir qu’il est l’heureux père. Le 11 juillet, il fait porter son nom et ses titres sur l’acte de baptême de la petite Françoise, et charge un de ses amis de représenter le parrain sur les fonts baptismaux. Ce parrain, absent de Paris, n’est autre que son propre fils légitime, âgé de sept ans. L’acte de baptême a été conservé sur les registres de Saint-Eustache.
Le duc de Modène, qui n’avait alors que trente ans, était trop bouillant, trop agité pour vive à côté de la jeune maman. Il s’engagea dans la conspiration des ducs de Guise et de Bouillon. Après l’échec de cette entreprise, il se retira prudemment dans sa propriété du comtat Venaissin, terre papale où l’on était beaucoup plus tranquille qu’au château de Vincennes.

En 1639, il n’y a pas de place pour une débutante, même jolie, dans les deux théâtres parisiens : l’Hôtel de Bourgogne et le Théâtre du Marais ; Madeleine Béjart suivra donc une troupe de campagne et ira faire son apprentissage de comédienne dans le midi de la France. Aucun témoin n’a révélé si elle avait retrouvé ou non, au cours de cette longue tournée, le galant duc de Modène. On le suppose, simplement, mais, lorsqu’en février 1643 elle met au monde une seconde petite fille, elle dissimule l’acte de baptême, et le père ne manifeste pas le même enthousiasme que cinq ans plus tôt lors du baptême de la petite Françoise.
Le père Béjart vient de mourir, Madeleine, à vingt-six ans, se retrouve en famille, elle doit s’occuper de ses enfants, de sa mère, de sa sœur et de ses frères. Puisqu’elle aime la vie errante des comédiens et qu’en province les spectateurs ne sont pas trop exigeants, elle fera apprendre des rôles à Geneviève, sa sœur, qui sera une soubrette fort convenable, et à Joseph, son frère aîné, affligé d’un léger bégaiement, ce qui n’a, dit-elle, aucune importance : dans le rôle de héros, « on croira que c’est l’émotion » ! Louis, le plus jeune frère, étudiera les bons auteurs en attendant l’âge de monter sur les tréteaux.
Complétée par quelques voisins plus ou moins doués, la troupe que Madeleine baptise « Les Enfants de Famille » va tenter de divertir un public complaisant.
C’est à cette époque que Jean-Baptiste, fils de Jean Poquelin, tapissier ordinaire du roi, prend une décision qui afflige les siens. Après s’être fait recevoir avocat à la faculté d’Orléans, cet aventureux jeune homme renonce à la charge paternelle, au barreau, à la vie bourgeoise et même à l’honneur : il veut jouer la tragédie. Cette vocation le tourmentait depuis trois ans déjà. Il a fait la connaissance de Tiberio Fiorelli, dit Scaramouche, dont il admire les pantomimes, il a joué quelques petits rôles dans des spectacles d’amateurs, et il a été vivement impressionné par les sourires de la protégée du duc de Modène, Madeleine Béjart. Elle, de son côté, n’a pas oublié l’étudiant impétueux qu’elle retrouve, prêt à se joindre aux Enfants de Famille. Il a vingt ans, elle en a vingt-six. Elle le fait, sans tarder, profiter de son expérience et, bientôt, Jean-Baptiste, séduit, abandonne tout pour la suivre. Le 30 juin 1643, les amoureux ont mis au point un grand projet, ils vont fonder une troupe capable de concurrencer celle de l’Hôtel de Bourgogne ; avec huit comédiens ils signent ce jour-là le contrat d’association. L’ »Illustre Théâtre » est né.

Jusqu’à la fin de cette année de fièvre et d’espérance, Jean-Baptiste et Madeleine préparent les programmes, les costumes et la décoration de la salle. Les comédiens associés ont loué le jeu de paume des Métayers, à côté de la porte de Nesle, belle salle pouvant contenir six cents spectateurs, mais dans laquelle il faut construire des barrières, une scène, des loges et installer l’éclairage. Devant la porte, le terrain est si boueux qu’il est indispensable de faire paver douze toises de chaussée pour permettre l’accès des carrosses. Léonard Aubry, paveur de Sa Majesté, s’en occupe, mais malgré la qualité de son « esplanade », les carrosses ne viennent pas.
Les acteurs de l’Illustre Théâtre manquent de métier ; seule, Madeleine Béjart a quelque habitude des planches. Tous font cependant de grands efforts pour attirer le public, ils embellissent le théâtre, augmentent le nombre des chandelles, diminuent les prix des places ; Madeleine, craignant que la couleur de ses cheveux ne soit une cause d’insuccès, les fait teindre ; on engage une attraction, le danseur Maller, dont Jean-Baptiste Poquelin, qui a pris la direction de la troupe, signe lui-même le contrat, en juin 1644. C’est la première fois que Poquelin utilise son nouveau nom de théâtre : Molière.
Rien ne décide les Parisiens à venir applaudir la troupe de l’Illustre Théâtre qui a pourtant bien besoin d’encaisser des recettes sérieuses. Le 1er août, Molière est emprisonné au Châtelet, pour une facture de chandelles impayée de cent quarante-deux livres ! A peine libéré, il se retrouve au Châtelet pour une affaire du même genre, et il ne doit la liberté qu’à son paveur qui accepte de verser la caution. Les dettes de la compagnie s’élèvent à quatre mille sept cent quatre-vingt-trois livres.
Après une seconde expérience dans une salle du quartier Saint-Paul, aussi  déficitaire que la première, la troupe se disloque.
Dans un pamphlet contre Molière, intitulé « Elomire (anagramme de Molière) hypocondre ou les Médecins vengés », un humoriste Le Boulanger de Chalussay, bien renseigné sur la vie de son ennemi, lui fait ainsi raconter ses déboires :

                        Je cherchai des acteurs qui fussent, comme moi,
Capables d’exceller dans un si grand emploi,
Mais me voyant sifflé par les gens de mérite,
Et ne pouvant former une troupe d’élite,
Je me vis obligé de prendre un tas de gueux,
Dont le mieux fait était bègue, borgne et boiteux ;
Pour les femmes, j’eusse eu les plus belles du monde,
Mais le même refus de la brune et la blonde
Me jeta sur la rousse, où, malgré le gousset,
Grâce aux poudres d’alun je me vis satisfait.

La faillite est soulignée avec méchanceté :

                        Car alors, excepté les exempts de payer,
                        Les parents de la trouve et quelque batelier,
                        Nul animal vivant n’entra dans notre salle,
                        Dont, comme vous savez, chacun troussa sa malle.

Madeleine et Molière, qui n’ont perdu ni l’amour ni l’espoir, s’en vont, avec les Béjart, à la conquête des provinces. Ils entrent dans la compagnie de Charles du Fresne, attachée au gouverneur royal pour la Guyenne, le duc d’Epernon. Molière y conserve obstinément les rôles tragiques qu’il interprète médiocrement... Ce n’est qu’après avoir, dit-on, reçu des pommes, qu’il se décide à développer son talent comique. Ses succès et son autorité en font alors un chef de troupe. Du Fresne lui cède sa place et Madeleine, maîtresse attentive, lui conseille de composer des comédies pour suppléer à la pauvreté du répertoire. Directeur, metteur en scène et acteur, Molière va devenir auteur. Ses premiers essais, « Le Médecin volant » et « La Jalousie du Barbouillé », trouvent un accueil qui l’encourage. En 1655 (d’après le registre tenu par La Grange), il présente « L’Etourdi », à Lyon où un public raffiné apprécie sa troupe ; on dit même que c’est « la meilleure sous le rapport du mérite des acteurs et de la richesse des costumes ».
L’existence des comédiens enrichis est devenue une fête perpétuelle. Les recettes sont si brillantes que la compagnie peut engager de nouvelles vedettes, Mlle de Brie et Mlle du Parc. Madeleine fait  venir près d’elle la petite fille née mystérieusement en 1643. C’est une charmante fillette de douze ans, nommée Armande, qui sort de pension et que Madeleine présente comme sa jeune sœur. L’enfant, que chacun appelle Menou, va vivre désormais avec Molière et tous les Béjart, Geneviève, Joseph et Louis, le cadet, dit l’Eguisé.
En grandissant, la petite Menou apprend le métier. Elle danse gracieusement et elle chante aussi bien en français qu’en Italien. On commence à l’initier au théâtre, elle fait partie de la figuration ; dans un projet de distribution on trouve même indiqué un rôle pour Mlle Menou.
La troupe de Molière quitte Lyon pour Grenoble et Grenoble pour Rouen où une bonne renommée l’a précédée ; les deux frères Corneille s’intéressent à ces comédiens de talent et tout particulièrement à Mlle du Parc.

Molière, qui rêve d’une revanche, voudrait présenter à Paris son théâtre comique. Les derniers mois de 1658 l’ont vu bien souvent sur la route de la capitale, où il s’est dépensé en visites et a sollicité des appuis afin d’obtenir l’autorisation du roi.  Les frères Corneille lui font enfin rencontrer Monsieur, frère de Louis XIV, qui organise une soirée devant Sa Majesté. Le programme est bientôt fixé : on jouera « Nicomède », ce qui flattera les Corneille et permettra à Madeleine de se montrer dans un  rôle qui lui convient : Molière y ajoute « le Docteur amoureux », petite farce dans le goût italien om il est certain d’un succès personnel. Les comédiens arrivent au Louvre avec un titre nouveau : « Troupe de Monsieur, frère unique du Roi ». La représentation décisive a lieu le 24 octobre, devant Leurs Majestés et toute la cour, sur une scène que le roi a fait dresser dans la salle des gardes.

« Nicomède » semble un peu ennuyeux, mais le roi s’amuse du « Docteur amoureux ». Un placet bien tourné, débité par Molière, achève le travail : Louis XIV, séduit, lui accorde l’autorisation de jouer dans l’hôtel du Petit-Bourbon en alternance avec les comédiens italiens. Solution imparfaite, car les comédiens –italiens ne laissent à Molière que les jours extraordinaires : les lundis, mercredis, jeudis et samedis.
Le 2 novembre, la troupe représente deux pièces de Molière : « L’Etourdi » et « Le Dépit amoureux » qui remportent un énorme succès que Le Boulanger de Chalussay lui-même reconnaît dans son pamphlet :

                        Je jouai « L’Etourdi », qui fut une merveille...
                        Du parterre au théâtre, et du théâtre aux loges,
                        La voix de cent échos fait cent fois mes éloges ;
                        Et cette même voix demande incessamment
                        Pendant trois mois entiers ce divertissement...
                        Mon « Dépit amoureux » suivit ce frère aîné
                        Et ce charmant cadet fut aussi fortuné.

Lorsqu’en 1659, au début du carême, le théâtre ferme ses portes selon la coutume, les dix comédiens associés ont partagé plus de six mille livres gagnées en cinq mois.
La troupe italienne ayant abandonné le Petit-Bourbon, Molière et ses comédiens bénéficient enfin de ces jours ordinaires où il est de bon ton d’aller au théâtre : les mardis, vendredis et dimanches. On joue un tour de moins mais les recettes sont bien meilleures. Elles sont encore meilleures lorsque, renonçant aux reprises, Molière présente sa première grande pièce : « les Précieuses ridicules », le 18 novembre 1659, devant tous les beaux esprits. Ménage a noté quelques noms : J’estois à la première représentation des « Précieuses ridicules »... Mademoiselle de Rambouillet y estoit, Madame de Grignan. Tout le cabinet de l’Hostel de Rambouillet, M. Chapelain et plusieurs autres... La pièce y fust jouée avec un applaudissement général.

Trop d’applaudissements au gré de quelques jaloux qui réussissent à faire interdire la pièce dès le lendemain de la première. Excellente réclame qui permet, quinze jours plus tard, l’interdiction levée de jouer « à l’extraordinaire ». On appelle ainsi l’opération simple qui consiste à doubler, à titre exceptionnel, le prix des places. La première avait remporté cinq cent trente-trois livres ; les recettes des représentations suivantes montent jusqu’à mille.

Encouragé par ce triomphe, le directeur de la troupe va continuer à écrire. A la rentrée, il présente « Sganarelle ou le Cocu imaginaire », qui est très apprécié, puisque vingt-six représentations consécutives rapportent au total douze mille cinq deux livres. De telles réussites indisposent les rivaux de Molière, qui, à force d’intrigues, persuadent M. de Ratabon, le surintendant des Bâtiments, de faire démolir d’urgence l’hôtel du Petit-Bourbon. Cette démolition, prévue pour permettre la construction de la colonnade du Louvre, n’était pas encore nécessaire à cette époque. En octobre 1660, sans avertissement préalable, les comédiens de Molière sont privés de théâtre. Le lundi 11me octobre, le théastre du Petit-Bourbon commença à estre desmoly par Monsieur de Ratabon... sans en avertir la troupe qui se trouva fort surprise...
Après trois mois de chômage, compensés par quelque « galas » que l’on nomme des « visites », les comédiens obtiennent de Louis XIV la permission de jouer au Palais-Royal, où vingt ans plus tôt, on applaudissait les tragédies de Richelieu. C’est la seule sale de Paris où la scène possède quelques perfectionnements, on y peut  loger plusieurs centaines de spectateurs, il y a vingt-sept rangs de parterre, mais elle est en mauvais état. Les réparations, démolitions et rétablissements durent plusieurs semaines et coûtent deux mille cent quinze livres.
Ouverte en janvier 1661, la nouvelle sale ne porte pas bonheur à Molière, qui connaît avec « Don Garcie de Navarre » son plus grand échec. Cette tragi-comédie ne sera représentée que sept fois, on la retire de l’affiche, la septième recette n’ayant atteint que soixante-dix livres. L’auteur malheureux se remet au travail, mais il renonce définitivement à ce domaine tragique qui l’attire depuis le début de sa carrière.
Cette même année 1661, Molière reprend la charge de son frère qui vient de mourir : il cherche ainsi à se rapprocher de la cour et s’acquitte, d’ailleurs fort bien, ainsi que l’affirment ses contemporains, de cette charge de tapissier et valet de chambre du roi : Son exercice de la comédie ne l’empêchait pas de servir le Roy dans cette charge où il se montrait assidu.

Peut-être Molière cherche-t-il aussi dans cette assiduité le moyen de fuir la demeure de la rue Saint-Thomas-du-Louvre où trois femme conspire et intriguent autour de lui. L’ambitieuse Armande poursuit son but au milieu de tous ces complots qu’elle ne peut ignorer. Il est évident qu’elle n’éprouve aucun sentiment profond pour Molière, mais qu’elle convoite la position de directrice de la compagnie. Elle souhaite des rôles à sa taille. Déjà Molière en écrit un pour elle ; dans « L’Ecole des maris », elle sera la jeune Léonor, fiancée à un homme de soixante ans, Ariste, le frère de Sganarelle. Cette pièce a été inspirée à Molière par sa propre situation. Quant au rôle destiné à Armande, l’auteur désire qu’il soit pour elle une bonne leçon, et il met dans sa bouche les sages recommandations qu’il n’ose pas lui faire lui-même :

            Léonor.- ...      O l’étrange martyre !
                                   Que tous ces jeunes fois me paraissent fâcheux !
                                   Je me suis dérobée au bal pour l’amour d’eux.
            Lisette.-          Chacun d’eux près de vous veut se rendre agréable.
            Léonor.-          Et moi je n’ai rien vu de plus insupportable ;
                                   Et je préfèrerais le plus sage entretien
                                   A tous les contes bleus de ces diseurs de rien.
                                   Ils croient que tout cède à leur perruque blonde,
                                   Et pensent avoir dit le meilleur mot du monde,
                                   Lorsqu’ils viennent d’un ton de mauvais goguenard,
                                   Vous railler sottement sur l’amour d’un vieillard ;
                                   Et moi, d’un tel vieillard, je prise plus le zèle
                                   Que tous les beaux transports d’une jeune cervelle.

Dès la première, le succès de « L’Ecole des maris » est assuré : trente-deux représentations consécutives vont rapporter dix-sept mille neuf cent quatre-vingt-onze livres aux comédiens. Molière encaisse deux parts depuis la réouverture d’après carême. Il l’a demandé à titre de droits d’auteur et aussi, a-t-il dit, pour sa femme au cas où il viendrait à se marier.

Malgré les soucis, les discussions, l’emménagement rue Saint-Thomas-du-Louvre, il a terminé « Les Fâcheux ». Dans son avertissement au lecteur, il prétendra avoir écrit et monté ce divertissement en deux semaines : Jamais entreprise au théâtre ne fut si précipitée que celle-ci, et c’est une chose, je crois, toute nouvelle, qu’une comédie ait été conçue, faire, apprise et représentée en quinze jours. Un rôle a été amoureusement mis au point pour Armande, celui d’Orphise, capital à ses yeux, car la première a lieu devant Louis XIV, le 17 août 1661, au cours des fêtes que donne le fastueux Fouquet à Vaux-le-Vicomte.

Le roi, la reine mère, Monsieur, Madame et une noble assemblée applaudissent à la fois Madeleine, sortie d’un rocher artificiel pour réciter le prologue et Armande, dans son premier grand rôle. Les jugements des contemporains sont formels, Armande n’est pas d’une grande beauté. Si elle a, selon Grimarest, « tous les agréments qui peuvent engager un homme, et tout l’esprit nécessaire pour le fixer », elle n’a guère de qualités physiques, d’après le souvenir de Mlle du Croisy, qui joua Agnès avec Molière : Armande Béjart avait la taille médiocre, mais un air engageant, quoique avec de très petits yeux, une bouche fort grande et fort plate, mais faisant tout avec grâce, jusqu’aux plus petites choses, quoiqu’elle se mît très extraordinairement et d’une manière presque toujours opposée à la mode du temps. Mme de Sévigné la trouve franchement laide ; qu’importe à Molière, il est amoureux ! Dans la demeure familiale rue Saint-Thomas-du-Louvre, les échos des querelles s’apaisent enfin.

Madeleine a cédé, le mariage d’Armande et de Jean-Baptiste aura lieu, c’est convenu, le 20 février 1662, lundi gras, à Saint-Germain-l’Auxerrois, et le repas de noces, le soir, après une représentation des « Fâcheux », chez M. de Guénégault, quai Malaquais.

Le 23 janvier, tous les Béjart se rendent chez le notaire, Me Acloque, pour signer le contrat. La fiancée est mineure, c’est donc sa prétendue mère, Marie Hervé, la veuve du bon Joseph Béjart « qui vient stipuler pour Armande-Grésinde-Claire-Elisabeth Béjart » les témoins sont, pour Molière, son père, Jean Pocquelin, tapissier et valet de chambre du roi, et son beau-frère, André Boudet, marchand, bourgeois de Paris. Du côté d’Armande, « sa soeur »( !) Madeleine et son frère Louis.

Madeleine Béjart est donc officiellement, sur papier notarié, la sœur d’Armande ; Molière est le gendre de la veuve Béjart ; quant à l’âge de la future épousée, la mère, ne s’en souvenant pas, fait porter sur le contrat : « âgée de vingt ans environ ». La femme du père Béjart, mère d’une douzaine d’enfants, aurait mis Armande au monde à l’âge de cinquante-trois ans ! La dot de la jeune fille s’élève à dix mille livres et son douaire à quatre mille, dot qui sera remise à Molière le 24 juin suivant par la veuve Béjart. Or celle-ci n’avait plus d’argent à la mort de son mari ; on suppose que la dot a été offerte par Molière, soucieux du bonheur de Mlle Molière, son épouse. Les femmes mariées qui ne sont point femmes de qualité ne s’appellent pas madame, mais mademoiselle.

Trop occupée par les caprices de sa jeune femme, Molière ne parvient pas à écrire de pièce nouvelle avant un an. La première de « L’Ecole des femmes » n’est donnée qu’en décembre 1662. La comédie plaira, et ses trente et une représentations produiront un total, assez coquet, de vingt-neuf mille sept cent soixante et onze livres, malgré ou à cause des violentes attaques suscitées par le sujet. Armande ne joue pas dans ces cinq actes, mais elle y est constamment présente. Il est facile d’établir un parallèle entre l’auteur, jeune marié, et le personnage d’Arnolphe, futur marié. A quarante-deux ans, l’âge de Molière, à peu de chose près, Arnolphe a décidé d’épouser une jeune fille, lui aussi. Chrysalde, son meilleur ami, le met en garde au début de la pièce contre les dangers d’une telle union :
Chrysalde :     Voulez-vous qu’en ami je vous ouvre mon cœur ?
                        Votre dessein, pour vous, me fait trembler de peur ;
                        Et, de quelque façon que vous tourniez l’affaire,
                        Prendre femme est à vous un coup bien téméraire.

Arnolphe :       Il est vrai, mon ami. Peut-être que chez vous
                        Vous trouverez des sujets de craindre pour chez nous ;
                        Et notre front, je crois, veut que du mariage
                        Les cornes soient partout l’infaillible apanage.

Chrysalde :     Ce sont coups du hasard, dont on n’est point garant...

Molière n’a-t-il pas composé dans cette pièce un petit manuel de la jeune mariée à l’usage d’Armande dont il est jaloux ? On pourrait le croire en écoutant les conseils qu’il donne à Agnès en jouant Arnolphe. Très à l’aise dans ce rôle, il a poussé le raffinement jusqu’à attribuer le rôle d’Agnès à Catherine de Brie, ingénue parfaite. C’est une jolie blonde, qui a été sa maîtresse, au nez et à la barbe du mari, qu’il ose dire en scène :

                        Le mariage, Agnès, n’est pas un badinage ;
                        A d’austères devoirs le rang de femme engage ;
                        Et vous n’y montez pas, à ce que je prétends,
                        Pour être libertine et prendre du bon temps.

Il s’adresse à Catherine mais c’est à Armande qu’il pense. Il est inquiet, tourmenté, jaloux. Dans la coulisse, Mlle Molière s’amuse et Madeleine ricane...

Les premiers mois de mariage sont cependant, sans histoire. Molière consacré poète officiel, reçoit « pansion du Roy en qualité de bel esprit », et il est couché sur l’état pour la somme de mille livres, deux cents de plus que Racine et deux mille de moins que Chapelain, considéré par Louis XIV comme « le plus grand poète françois qui ait jamais esté » !

Pour répondre aux critiques de « L’Ecole des femmes », jouée de juin à août 1663 en même temps que « L’Ecole », et qui fait déplacer tout Paris, même le roi qui vient au Palais-Royal donner un appui moral à son protégé. Armande tient un rôle entre Mlles du Par cet de Brie. Elle en tiendra un autre plus naturel dans « L’Impromptu de Versailles », où chaque comédien joue sous son nom.

Le roi a demandé d’urgence un divertissement, il faut bien le lui donner. Molière, pressé par le temps, met en scène un aspect des coulisses. On le voit protester contre sa troupe et se disputer avec son épouse, exactement comme ils le font à la ville :

-          Voulez-vous que je vous dise ? vous devriez faire une comédie où vous auriez joué tout seul.
-          Taisez-vous ma femme, vous êtes une bête.
-          -Grand merci, Monsieur mon mari ! Voilà ce que c’est ! Le mariage change bien les gens, et vous ne m’auriez pas dit cela il y a dix-huit mois !
-          Taisez-vous, je vous prie !
-          C’est une chose étrange qu’une petite cérémonie soit capable de nous ôter toutes nos belles qualités et qu’un mari et un galant regardent la ^même personne avec des yeux si différents
-          Que de discours !
-          Ma foi, si je faisais une comédie, je la ferais sur ce sujet. Je justifierais les femmes de bien des choses dont on les accuse et je ferais craindre aux maris la différence qu’il y a de leurs manières brusques aux civilités des galants...
-          Ahy ! laissons cela. Il n’est pas question de causer...

Ces reproches publics, reflets d’une vie conjugale tourmentée, font rire la cour et la ville. Molière, le protégé du roi, l’auteur à succès, a avoué qu’il est trop occupé pour être aimable et prévenant avec sa jeune femme. Voilà qui est bien, ses rivaux de l’Hôtel de Bourgogne en font des gorges chaudes. Boursault fait représenter le « Portrait du peintre », où Molière peut s’entendre traiter de cocu. Trois mois plus tard, Armande met au monde un garçon dont le roi accepte d’être le parrain, c’est la réponse  aux calomniateurs qui font courir le bruit que Molière a épousé sa propre fille !

Sa réplique personnelle, le mari offensé, la donnera à Versailles, en mai 1664, au cours des somptueux divertissements des « Plaisirs de l’Ile enchantée », que Louis XIV offre à Mlle de La Vallière, en feignant d’honorer la reine.

Armande est en vedette dans le rôle de la princesse d’Elide et dans celui d’Elmire de « Tartuffe ». Les trois premiers actes de la pièce la plus scandaleuse du siècle ont été en effet représentés devant la cour, et ce n’est que cinq années plus tard que la représentation intégrale en public sera autorisée.

Les pamphlétaires et les jaloux attribuent quelques amants à Mlle Molière qui, en réalité, se contente de s’ennuyer. Sa vie conjugale lui paraît infiniment monotone ; Molière, accablé de besogne et de soucis, n’est jamais réconforté par une bonne parole, par un baiser tendre. Toute sa peine, tout son chagrin, il les offre au public en écrivant le dialogue, presque vécu, de Célimène et d’Alceste. « Le Misanthrope » marque l’apothéose de Mlle Molière et la désillusion de son mari ; nous ne sommes plus à la comédie, nous sommes chez Molière :

Alceste –         Je ne querelle point. Mais votre humeur, Madame,
                        Ouvre au premier venu trop d’accès dans votre âme ;
                        Vous avez trop d’amants qu’on voit vous obséder,
                        Et mon cœur, de cela, ne peut s’accommoder.

Célimène -      Des amants que je fais me rendez-vous coupable ?
                        Puis-je empêcher les gens de me trouver aimable ?
                        Et lorsque, pour me voir, ils font de doux efforts,
                        Dois-je prendre un bâton pour les mettre dehors ?

Le mari, encore amoureux, reconnaît ses propres faiblesses :

Alceste.-         Ah ! Traitresse ! mon faible est étrange pour vous   
                        Vous me trompez, sans doute, avec des mots si doux,
                        Mais il n’importe, il faut suivre sa destinée ;
                        A votre foi mon âme est tout abandonnée.  

Molière, le mal-aimé, a-t-il fait réellement à un ami cette confidence que rapporte Grimarest : Malgré toutes les précautions dont un homme est capable, je n’ai pas laissé, voyez-vous, de tomber dans le désordre où toux ceux qui se marient sans réflexion sont accoutumés de tomber... Oui, mon cher, je suis le plus malheureux des hommes !

Les habitués du théâtre du Palais-Royal applaudissent Alceste sans se douter du drame intime dont ils ne voient qu’un plaisant reflet. Pendant plusieurs mois, Armande et Molière vivent sans échanger une parole, comme des étrangers, Molière va suivre son régime lacté dans la solitude de sa maison d’Auteuil ; les époux ne se rencontrent plus qu’au théâtre.

Il faudra à Madeleine Béjart beaucoup d’intelligence, de patience et une certaine forme de courage pour les réconcilier, ou du moins, les faire vivre ensemble avec plus d’harmonie. Catherine, éternelle ingénue, poursuit discrètement son rôle de consolatrice. Molière, malade, déçu et épuisé de travail, trouvera toujours chez elle quelque réconfort. Et cependant, rien ne pourra détourner cet homme de génie, ce psychologue pénétrant, du malheureux amour qu’il éprouve pour la froide, l’impitoyable Armande.

Il ne travaille qu’à lui donner les meilleurs rôles, qu’à la mettre en évidence ; elle fait partie de toutes les distributions, à Saint-Germain, aux Tuileries, comme sur la scène de son propre théâtre.  Sa renommée grandit, tandis que Madeleine, vieillie et fanée, doit se contenter des rôles de second plan. Armande crée Elise dans « l’Avare », Elmire dans « Tartuffe », Julie dans « le Bourgeois gentilhomme », elle sera même Bérénice dans la tragi-comédie que Corneille a composée pour Henriette d’Angleterre :

                        Mademoiselle Molière
                        Du mieux soutient le caractère
                        De cette reine dont le cœur
                        Témoigne un amour plein d’honneur.

Elle sera enfin Psyché dans le plus merveilleux divertissement du temps. Toute la cour verra Mlle Molière, en robes d’or et d’argent, enlevée par l’Amour sur un nuage mécanique. Malgré
 Les crises d’une maladie à laquelle il n’a plus la force de résister, Molière a réussi à monter pour Louis XIV ce spectacle d’inauguration de la salle des machines, construite entre le jardin des Tuileries et les écuries royales. Toujours amoureux, Jean-Baptiste pardonne tout à son épouse et, lorsqu’ils se réconcilient, afin de rendre plus agréable son retour au foyer conjugal, il décide de quitter l’usage du lait et se met à la viande. Ce changement de régime devant redoubler sa tout et peut-être hâter sa fin.

Le 17 février 1672, Molière et toute sa troupe sont à Saint-Germain pour « « Le Ballet du Roi », où l’on joue « La Comtesse d’Escarbagnas ». Ils ont laissé Madeleine, malade depuis six semaines, « gisante au lit ». Ils la retrouve morte. Elle emporte dans la tombe le secret de la naissance d’Armande, mais dans le testament qu’elle a dicté le 9 janvier, avec codicille du 14 février, elle institue Mlle Molière sa légataire universelle. Madeleine Béjart rachète ses fautes en fondant à perpétuité dans l’église Saint-Paul, ou dans un monastère à choisir, deux messes basses de requiem par semaine. Elle a stipulé, en outre, « le prélèvement sur ses biens d’un revenu en rentes ou en terres, pour être payé chaque jour, à perpétuité, à cinq pauvres, cinq sols en l’honneur des cinq plaies de Notre-Seigneur ». Le clergé de Saint-Paul ne fait pas de façons pour enterrer cette comédienne repentie. En argenterie et en bijoux, elle laisse environ quatre mille livres, et en deniers comptants, dix-sept mille huit cent neuf.

Molière, privé de toute joie, tente un nouvel essai. Pour plaire à sa chère et détestable Armande, il loue en juillet l’appartement qu’elle considère digne d’elle et de la situation de son mari. C’est une belle maison située rue de Richelieu, bâtie par un tailleur, René Baudellet, qui exige un loyer annuel de treize cents livres, plus la moitié de la taxe des boues, des lanternes, des pauvres et des autres charges de ville. Ce logement de luxe est ainsi décrit : trois petites caves ou deux grandes au choix des preneurs, une cuisine, une écurie dans laquelle ledit bailleur pourra mettre un cheval quand il en aura ; les premier et second étages, quatre entresols au-dessous la moitié du grenier qui est au-dessus du troisième étage et une remise de carrosse, communauté de la cour, puits et aisances.

La cour forme une terrasse d’où l’on peut profiter de l’ombre des arbres du jardin Royal, et par un passage, il n’y a que quelques marches à descendre pour parvenir au jardin et pour se rendre au théâtre, sans devoir faire le tour par la rue Saint-Honoré.

L’installation des époux réconciliés commence mal : le 11 octobre, le petit Pierre-Jean-Baptiste, symbole des amours retrouvées, meurt à l’âge de vingt-sept jours. Le théâtre des comédiens fait relâche une journée, mais le bébé est à peine inhumé à Saint-Eustache que Molière doit jouer « L’Avare ». Les comédiens n’ont pas le temps de pleurer. Molière doit terminer « Le Malade imaginaire » Cette dernière œuvre d’un homme qui se sait perdu,  qui gémit de sa faiblesse, est empreinte, malgré sa gaieté apparente, d’une profonde tristesse. Ce malade, entouré de drogues, épié par les médecins qui rôdent dans sa chambre, tandis que sa femme, sournoise et intéressée, compte déjà les deniers de l’héritage, n’est-ce pas Molière lui-même ?

Le 17 février 1673, un an, jour pour jour,  après la mort de Madeleine, la compagne fidèle des mauvais moments, Molière est pris de convulsions pendant la quatrième représentation du « Malade imaginaire ». Il meurt au cours de la nuit dans le somptueux appartement qu’il avait fait décorer pour satisfaire, une fois encore, le caprice d’Armande, la plus ingrate des femmes qu’il a aimées.

Le curé de Saint-Eustache refusera au plus grand comédien de tous les temps la sépulture en terre bénite, on l’enterrera de nuit au cimetière Saint-Joseph, annexe de Saint-Eustache.

Trois ans plus tard, comme l’hiver était rigoureux, Armande, en souvenir de son mari, fit transporter des bûches au cimetière pour que de grands feux, allumés sur sa tombe, puissent réchauffer les pauvres du quartier.

                        

3 commentaires:

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