vendredi 18 octobre 2013

La Reine des Neiges

Ce récit est adapté d’un conte d’Andersen
Il s’agit d’un conte inventé par Andersen sur un thème fréquent dans la tradition orale : un être malfaisant enlève une personne. Un proche de la victime part à sa recherche, aidé dans sa quête par divers êtres secourables.

Un jour, le diable fabriqua un miroir qui ne montrait le monde que sous un aspect affreux et méchant : reflétés dans ce miroir, les plus beaux paysages se transformaient en déserts et les plus jolis visages devenaient laids à faire peur. Avec son miroir, le diable parcourut le monde, en prétendant qu’il voyait enfin comment la Terre et les hommes sont en réalité. Puis il s’envola vers le ciel, pour aller se moquer des anges. Mais le miroir se mit à trembler de plus en plus fort, si bien qu’il échappa des mains du diable, tomba sur la Terre et se brisa en millions de morceaux, pas plus grands qu’un grain de sable.
Ces petits morceaux furent emportés par le vent ; si l’un d’eux tombait dans l’œil de quelqu’un, aussitôt le malheureux voyait le mal et la laideur partout ; si un éclat de miroir sautait dans le cœur d’une personne, ce cœur devenait insensible comme un bloc de glace.
.Mais ce n'était pas fini comme ça. Dans l'air volaient encore quelques parcelles du miroir !

Dans une grande ville, vivaient deux petits enfants qui n’avaient pour jardin que quelques pots de fleurs. Ils n’étaient pas frère et sœur mais ils s’aimaient autant que s’ils l’avaient été. Le petit garçon s’appelait Kay et la petite fille Gerda. Ils habitaient chacun dans une mansarde, située tout en haut de deux immeubles qui se faisaient face. La rue était si étroite qu’il aurait suffi d’enjamber la ruelle pour passer d’une fenêtre à l’autre. Ils n’en avaient pas le droit, bien sûr. Mais ils avaient pris l’habitude de s’installer chacun sur un petit tabouret, au milieu des fleurs, de chaque côté de la ruelle. Et ils passaient là des moments merveilleux. Un jour d’été, ils jouaient sur leur petit balcon planté de rosiers. Le soleil brillait, mais à l’ombre des rosiers, il faisait bon. Tout à coup, Kay s’écria :
-Aïe, quelque chose m’a piqué le cœur, et une poussière m’est entrée dans l’œil.
Gerda regarda soigneusement son œil et dit :
-Je ne vois rien, elle a dû partir.
Hélas, la poussière n’était pas partie. C’était un éclat de cet affreux miroir inventé par le diable, et Kay en avait aussi reçu un dans le cœur, il s’écria :
-Oh ! Mais ces rosiers poussent de travers, et ces roses sont très laides !
Et il arracha tous les rosiers. Comme Gerda pleurait il lui cria :
-Pourquoi pleures-tu ? tu es laide quand tu pleures !
Abandonnant son amie, il rentra chez lui. A partir de ce jour, il ne s’intéressa plus aux livres d’images, ni aux contes que sa grand-mère racontait et il devint très méchant avec la petite fille.
Un jour d’hiver, il sortit faire du traîneau sur la place. Les garçons les plus hardis s’amusaient à attacher leur traîneau aux charrettes des paysans et à se faire traîner un bout de chemin. Ce jour-là, arriva sur la place un grand traîneau blanc. Une personne enveloppée de fourrures blanches et coiffée d’un bonnet blanc le conduisait. Kay accrocha son petit traîneau au grand traîneau blanc et les voilà partis. Kay s’amusait beaucoup !
De temps en temps, la personne qui conduisait se retournait et adressait à Kay un signe amical. Mais bientôt, le petit garçon commença à trouver qu’il était entraîné trop loin. Il voulut détacher son traîneau : impossible ! Déjà, les deux traîneaux sortaient de la ville et filaient de plus en plus vite. La neige se mit à tomber. Epouvanté, Kay n’y voyait plus rien, et il avait beau crier, personne ne semblait l’entendre. Enfin le grand traîneau s’arrêta et la personne qui le conduisait s’approcha de Kay : c’était une dame grande et mince ; son manteau et son bonnet n’étaient faits que de neige étincelante : c’était la Reine des Neiges.
-Nous avons fait du chemin dit-elle à Kay, mais tu es glacé, viens dans mon traîneau.
Elle le prit contre elle et l’enveloppa de son manteau : l’enfant eut l’impression de tomber dans un gouffre de neige.
-As-tu encore froid ? demanda-t-elle en l’embrassant sur le front. Son baiser était plus froid que la glace et il pénétra jusqu’au cœur déjà à demi glacé du petit garçon. Elle l’embrassa encore et il oublia tout. Gerda, grand-mère, la maison. Il n’avait plus froid, il n’avait plus peur ; il trouvait la Reine des Neiges plus belle que tout et il s’envola avec elle par-dessus les forêts et les océans. Au-dessus d’eux, la lune brillait. Sous leurs pieds, le vent du nord hurlait et la neige blanche scintillait. Pour Kay, ce fut une longue nuit d’hiver. Au matin, il s’endormit aux pieds de la Reine des Neiges.
Pour Gerda, les jours de cet hiver-là furent sombres. Elle pleura beaucoup la disparition de Kay mais elle ne pouvait pas croire à sa mort. Quand revint le printemps, elle se leva un jour de bonne heure, embrassa sa grand-mère qui dormait, mit ses jolis souliers rouges et partit au bord de la rivière. Elle demanda à la rivière :
-Est-ce toi qui m’as pris mon ami ? Je te donnerai mes souliers rouges si tu me le rends.
Il lui sembla que les remous lui faisaient signe, alors elle enleva ses souliers rouges et les jeta dans l’eau. Mais ils tombèrent tout près du bord et les remous les lui ramenèrent. La rivière ne voulait pas accepter les petits souliers puisqu’elle n’avait pas pris Kay. Mais Gerda se dit qu’elle n’avait pas lancé les souliers assez loin. Elle grimpa dans une barque et jeta de nouveau les souliers dans l’eau. Mais le bateau était mal attaché et il s’éloigna au fil de l’eau, en emportant Gerda. D’abord, elle eut très peur, puis elle se dit : « Peut-être que la rivière va m »amener auprès de Kay ? » et elle reprit courage. Le voyage dura longtemps puis la barque s’échoua près d’une petite maison avec des fenêtres rouges et bleues, un toit de chaume et deux soldats de bois qui montaient la garde. Gerda les appela, croyant qu’ils étaient vivants. Naturellement, ils ne répondirent pas. Gerda appela plus fort.
Alors sortit de la maison une vieille femme qui portait un grand chapeau de paille orné de fleurs peintes. Elle aida Gerda à prendre pied sur la berge et la petite lui raconta son histoire, lui  demandant si elle n’avait pas vu passer Kay.
-Je ne l’ai pas encore vu, dit la vieille femme, mais il va sans doute arriver, ne t’inquiète pas et viens goûter.
Elle la fit entrer dans sa maison et lui donna des cerises à manger.
-J’avais tellement envie d’avoir une jolie petite fille comme toi, dit la vieille femme. Tu vas voir, nous allons bien nous entendre !
Tout en parlant, elle peignait Gerda avec un peigne d’or et, au fur et à mesure, la petite fille oubliait son camarade et sa vie passée. Car cette vieille femme était une magicienne et elle avait décidé de garder la petite fille auprès d’elle.
Puis la magicienne sortit dans le jardin et dit disparaître sous terre tous les rosiers, car elle avait peur qu’en voyant les roses, Gerda se souvienne des rosiers près desquels elle jouait avec son ami Kay.
Gerda resta avec la magicienne. Tous les jours elle jouait dans le merveilleux jardin rempli de toutes les espèces de fleurs. Pourtant, il lui semblait qu’il en manquait une, mais laquelle ? Elle ne pouvait pas le dire.
Un jour, elle remarqua que des fleurs étaient peintes sur le chapeau de paille de la vieille femme. La plus belle de ces fleurs était une rose.
-Comment, s’écria-t-elle, il n’y a pas de roses ici ?
Elle chercha dans tous les parterres mais n’en trouva aucune. Alors elle s’assit et pleura et ses larmes tombèrent à l’endroit où justement un rosier s’était enfoncé. Lorsque ses larmes mouillèrent la terre, l’arbuste reparut, encore plus beau qu’auparavant. Gerda l’entoura de ses bras et tout à coup elle se souvint de ses rosiers et de son petit ami Kay.
-Oh ! Je me suis attardée, dit-elle, alors que je voulais chercher Kay. Savez-vous où il est, demanda-t-elle aux roses. Croyez-vous vraiment qu’il soit mort ?
-Non, il n’est pas mort, répondirent les roses, nous avons été sous la terre où sont tous les morts, et Kay n’y était pas !
-Merci, merci, dit Gerda, et elle alla interroger les autres fleurs :
-Savez-vous où est le petit Kay ?
Alors chaque fleur, le lis rouge, le liseron, le perce-neige, la jacinthe, le bouton d’or, le narcisse lui racontèrent leur histoire, mais aucune ne parlait de Kay.
Gerda courut au bout du jardin. La porte était fermée à clé mais elle secoua la charnière toute rouillée, qui céda. La porte s’ouvrit et Gerda s’élança, sans chaussures. Elle se retourna trois fois pour voir si personne ne la suivait. Puis, fatiguée de courir, elle s’assit sur une grosse pierre et regarda autour d’elle : l’automne était très avancé, alors que dans le jardin enchanté il y avait toujours du soleil et toutes les fleurs des quatre saisons.
-Mon Dieu, comme j’ai perdu du temps, s’écria la petite fille. C’est déjà l’automne ! Je n’ai pas le droit de me reposer.


Elle repartit. Ses petits pieds étaient douloureux et fatigués. Autour d’elle tout était froid et gris. Le brouillard se condensait en gouttes qui roulaient sur les feuilles jaunes des saules.
Elle marcha longtemps, puis la neige se mit à tomber, formant un tapis de plus en plus épais. La petite fille fut obligée de s’asseoir pour se reposer
-Kra ! kra ! bonjour, bonjour.
Une corneille vint souffler près d’elle. Elle demanda à la petite fille où elle allait toute seule à travers le monde et Gerda lui raconta tout, lui demandant si elle n’avait pas vu Kay. La corneille hochait la tête et semblait réfléchir.
-Peut-être, c’est possible, répondit-elle.
-Vraiment, tu crois. Cria la petite fille, et elle faillit l’étouffer, tellement elle l’embrassait.
-Doucement, doucement, fit la corneille. Cela pourrait bien être Kay, mais il t’a remplacée par la princesse.
-Il est chez une princesse ? demanda Gerda.
-Ecoute, je vais t’expliquer, dit la corneille. J’ai une fiancée qui est apprivoisée et qui se promène librement dans le château, c’est elle qui m’a tout raconté. Notre princesse est très intelligente et elle a décidé de se marier avec un homme capable de parler avec esprit. Elle a fait publier des annonces dans tous les journaux et une foule de prétendants est arrivée au château. Ils parlaient tous très facilement quand ils étaient dehors, mais, une fois entrés dans le château, après avoir vu les gardes en uniforme brodé d’argent, les laquais en habit brodés d’or, et les grands salons illuminés. Ils étaient tout intimidés. Ils restaient plantés devant le trône de la princesse, tout juste capables de répéter les derniers mots qu’elle prononçait.
-Mais Kay, mon petit Kay, interrompit Gerda, quand m’en parleras-tu ?
-Patience, nous y arrivons, dit la corneille. Le troisième jour arriva un petit personnage sans cheval ni carrosse, qui monta au château d’un pas décidé. Il avait des yeux brillants comme les tiens et de beaux cheveux longs, mais ses vêtements étaient pauvres.
-C’et Kay, jubila Gerda en battant des mains, je l’ai enfin retrouvé.
-Il était plein d’assurance, continua la corneille, et il n’était pas venu comme prétendant mais pour juger de l’intelligence de la princesse. Il la trouva remarquable et elle le trouva très bien.
-C’est lui, s’écria Gerda, il est si intelligent, il sait même faire le calcul mental avec les chiffres décimaux. Oh ! conduis-moi au château !
La corneille s’envola pour aller prévenir sa fiancée, puis elle revint près de Gerda, lui rapportant un petit pain. Ensuite, elle la conduisit au château, dont les lumières s’éteignaient l’une après l’autre. Elles entrèrent par une petite porte entrebâillée et montèrent un escalier. Oh ! comme le cœur de Gerda battait ! La corneille apprivoisée les fit passer dans des salles toutes plus belles les unes que les autres et elles arrivèrent à la chambre à coucher.
Le plafond ressemblait à un grand palmier aux feuilles de vitrail. Au milieu du parquet, deux lits ressemblaient à des lys. L’un était blanc et la princesse y était couchée. L’autre était rouge et c’est dans celui-là que Gerda se mit à chercher Kay. Elle écarta quelques pétales rouges et aperçut une nuque brune.
-Oh ! c’est Kay, s’écria-t-elle en approchant la lampe.
Le dormeur s’éveilla, tourna la tête vers elle... mais ce n’était pas Kay... Alors Gerda se mit à pleurer et raconta toute son histoire.
-Pauvre petite ! s’exclamèrent le prince et la princesse. Ils la firent coucher au château et le lendemain, ils l’invitèrent à rester avec eux et à couler des jours heureux. Mais elle leur demanda une voiture attelée d’un cheval et une paire de bottines, car elle voulait repartir à la recherche de Kay. Alors ils lui donnèrent une jolie robe, des bottines et un manchon et firent préparer un carrosse d’or avec un cocher et des domestiques. Leprince et la princesse l’aidèrent à monter en voiture et lui souhaitèrent bonne chance. La corneille l’accompagna pendant quelques kilomètres puis elles durent se séparer et la corneille alla se poser dans un arbre ; elle battit de ses ailes noires aussi longtemps qu’elle put voir le carrosse qui brillait comme le soleil...
Comme le carrosse traversait une forêt épaisse, des brigands l’aperçurent et s’écrièrent :
-De l’or, de l’or !
Ils s’élancèrent sur les chevaux, tuèrent le cocher et les valets et tirèrent Gerda de la voiture. Une vieille brigande qui portait sa fille sur son dos s’apprêtait à la tuer quand sa fille lui dit :
-Laisse-la. Qu’elle me donne son manchon, sa jolie robe et je la laisserai coucher dans mon lit. Nous jouerons ensemble.
Et elle ajouta :
-Je veux monder dans le carrosse.
Les brigands en passèrent par où elle voulait. Elle monta à côté de Gerda et le carrosse repartit, s’enfonçant encore plus profondément dans la forêt, jusqu’à un château tout lézardé. C’était le repaire des brigands. Dans une salle toute noire de fumée brûlait un grand feu ; une grande marmite de soupe bouillait et des lièvres et des lapins rôtissaient sur des broches.
Après lui avoir donné à boire et à manger, la fille des brigands emmena Gerda dans un coin où il y avait de la paille et des couvertures.
-Tu vas dormir avec moi et mes petits animaux préférés ! dit-elle. Sur des lattes étaient perchés des pigeons, tandis que d’autres se tenaient dans un trou du mur fermé par une quantité de barreaux.
Ce sont des sauvages de la forêt, ceux-là, ils s’échappent si on ne les enferme pas bien, expliqua la fille des brigands. Et voilà mon préféré, mon vieux Bêê !
Elle tira un renne attaché par une corde.
-Il faut l’attacher celui-là sinon, il se sauve. Et tous les soirs, je lui caresse le cou avec mon couteau, il en a une peut terrible.
Et elle saisit un couteau et le passa en rient sur le cou du pauvre renne qui ruait. Elle entraîna Gerda vers le lit, sans lâcher son couteau :
-Raconte-moi qui tu es et ce que tu fais toute seule
Et Gerda lui raconta qu’elle était à la recherche de son petit camarade Kay. Quand la fille des brigands commença à ronfler, les pigeons de la forêt dirent :
-Crourou ! Crourou ! Nous avons vu le petit Kay, il était dans le traîneau de la Reine des Neiges, qui passait au-dessus de la forêt. Nous étions dans notre nid, la reine a soufflé sur nous et nos petits sont morts. Crourou ! Crourou !
-Que dites-vous, là-haut ? s’écria Gerda. Où est allée la Reine des Neiges, le savez-vous ?
-Elle allait sûrement vers la Laponie, où il y a toujours de la glace et de la neige. Demande au renne.
-Il y a de la glace et de la neige, et c’est si agréable de courir en liberté dans les plaines brillantes, dit le renne. C’est là que la Reine des Neiges a sa résidence d’été mais son palais est près du pôle Nord sur une île appelée Spitzberg.
-Oh ! mon petit Kay, soupira Gerda
-Si tu ne te tiens pas tranquille, dit la fille des brigands à moitié endormie, je te plante mon couteau dans le ventre.
Au matin, Gerda lui raconta ce que les pigeons et le renne lui avaient dit. Quand les brigands furent sortis, la fille des brigands dit au renne :
-Cela m’aurait amusé de te chatouiller encore longtemps le cou avec mon couteau, tu es si drôle quand tu as peur ! Mais tant pis, je vais te détacher et tu vas emmener cette petite fille en Laponie, au château de la Reine des Neiges.
Le renne sauta en l’air de joie. La fille des brigands souleva Gerda, l’installa sur le dos du renne, et l’attacha soigneusement.
-Prends tes bottines fourrées, car il fera froid, mais le manchon, je le garde, il est trop joli. Cependant, je ne veux pas que tu aies froid, alors je te donne les moufles de ma mère.
-Assez pleurniché, dit la fille des brigands, je n’aime pas ça, tu devrais avoir l’air content au contraire. Et voilà deux pains et un jambon, tu ne souffriras pas de faim.
Elle détacha le renne et ouvrit la porte :
-Va maintenant, cours, mais fais bien attention à la petite fille !
Gerda agita ses mains gantées des immenses moufles pour dire au revoir à la fille des brigands et le renne détala ; au milieu des buissons et des arbustes, à travers la forêt, à travers les marais, à travers la steppe, il courait de toutes ses forces, jour et nuit. Et ils arrivèrent en Laponie.
Là ils frappèrent à la cheminée d’une petite maison, car il n’y avait même pas de porte. Une femme les fit entrer dans la maison bien chaude et enleva à Gerda ses moufles et ses bottines pour qu’elle n’ait pas trop chaud. Le renne lui raconta d’abord sa propre histoire puis celle de Gerda.
-Le jardin de la Reine commence à quinze kilomètre d’ici, dit la femme. Conduis la petite fille, fais-la descendre près du buisson couvert de baies rouges et reviens au plus vite.
La femme replaça Gerda sur le dos du renne qui repartit à toute vitesse.
-Oh ! mes bottines, mes moufles, je ne les ai plus ! s’écria la petite fille en sentant le froid cuisant.
Mais le renne n’osa pas s’arrêter, et courut, courut jusqu’au buisson couvert de baies rouges. Là, il fit descendre Gerda. Il l’embrassa en pleurant puis partit sans se retourner.
Et voilà la pauvre Gerda sans chaussures, sans gants, dans le froid terrible ! Elle se mit à courir aussi vite qu’elle pouvait, mais un régiment de flocons de neige l’attaqua. Ils ne tombaient pas du ciel qui était parfaitement clair, ils couraient au ras du sol. Leurs formes étaient bizarres ; certains étaient comme d’affreux hérissons, d’autres comme des nœuds de serpents, d’autres encore ressemblaient à des oursons. Et tous étaient d’une éclatante blancheur. C’étaient les gardes de la Reine des Neiges.
Alors Gerda se mit à chanter et l’haleine qui sortait de sa bouche comme une fumée à cause du froid repoussa l’armée des flocons, les faisant éclater en mille morceaux. D’un pas intrépide, la petite fille arriva au château.
Ses murs étaient faits de neige, ses fenêtres et ses portes de vents coupants et il comprenait plus de cent salles formées par des tourbillons de neige et éclairées de magnifiques aurores boréales. Tout était grand, vide, glacialement étincelant. Aucune gaieté, jamais un petit bal où les ours blancs auraient pu danser les pattes de derrière, en prenant l’air distingué. Jamais une partie de cartes permettant de se disputer, jamais une invitation à goûter pour ces demoiselles les renardes blanches.
Au milieu de ces salles neigeuses, désertes et infinies, il y avait un lac gelé dont la glace était fendue en mille morceaux identiques. Au centre trônait la Reine des Neiges. Près d’elle, Kay était bleu de froid, mais il ne s »en apercevait pas. Le baiser de la reine l’avant rendu insensible au froid et son cœur était un bloc de glace. Il jouait à disposer des morceaux de glace pour obtenir des figures. La Reine des Neiges lui avait dit :
-Si tu arrives à écrire le mot « éternité », je t’offrirai le monde entier et une paire de patins neufs.
Mais Kay n’arrivait pas à écrire le mot « éternité » en assemblant les  morceaux de glace.
La reine lui dit :
-Maintenant, je vais m’envoler vers les pays chauds. Je vais les blanchir. C’est très joli, la neige sur les arbres en fleurs.
Elle partit et Kay resta seul. Au même moment, Gerda entrait dans le château. Elle arriva enfin dans l’immense salle vide et aperçut Kay. Elle lui sauta au cou, le serra dans ses bras en criant :
-Kay, mon petit Kay, je te retrouve enfin !
Mais il restait immobile et si froid qu’on aurait pu le croire mort. Alors Gerda se mit à pleurer de chaudes larmes qui tombèrent sur la poitrine du petit garçon réchauffèrent son cœur, firent fondre le bloc de glace et en chassèrent le morceau de miroir.
Il la regarda et éclata en sanglots, il pleura tellement que la poussière, le petit éclat de miroir qu’il avait reçu, coula hors de son œil. Fou de joie, il cira :
-Gerda, chère petite Gerda, où étais-tu pendant tout ce temps ? Et moi, pourquoi suis-je ici ? 
Il regarda  autour de lui.
-Qu’il fait froid, que tout est vide et grand !
Ils s’embrassèrent, en riant et pleurant à la fois. Devant tant de bonheur, les morceaux de glace se mirent à danser et formèrent d’eux-mêmes le mot que la Reine des Neiges avait dit à Kay d’écrire : « éternité »
Alors les deux enfants, en se tenant par la main, sortirent du château et allèrent à l’arbuste aux baies rouges. Le renne les y attendait, en compagnie d’une jeune femelle aux mamelles pleines. Elle donna aux enfants son lait chaud et les réchauffa de ses baisers.
Puis les deux animaux portèrent Kay et Gerda chez la femme lapone qui avait cousu pour eux des vêtements neufs et avait préparé un traîneau. Le renne et la jeune femelle renne les accompagnèrent jusqu’à l’endroit où apparaissent les premières prairies. Là, les enfants dirent adieu aux deux rennes et à la femme lapone : « Adieu, adieu ! et merci ! » et continuèrent leur voyage.

La main dans la main, ils marchèrent à travers la forêt pleine de petites pousses vertes et de fleurs : c’était le printemps. Ils arrivèrent dans une grande ville où les cloches sonnaient et ils reconnurent les hautes tours : c’était la ville où ils étaient nés. Ils allèrent à leur maison et entrèrent dans la chambre où tout était à la même place qu’autrefois. Rien n’avait changé, sauf une chose : eux-mêmes. Ils étaient devenus des adultes... mais dans leur cœur, ils étaient encore des enfants.

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