Pour les samouraï, la pratique des
arts martiaux était le meilleur moyen de suivre le « bushido », code
d’honneur du guerrier, dont une des lois fondamentale exaltait la fidélité
absolue du serviteur à son maître.
En
cette année 1701, l’empereur Higashiyama vit à Kyoto, la ville impériale, dans
un palais somptueux et glacé. Il est le « fils du soleil », son
existence se déroule en une suite sans fin de cérémonies raffinées et inutiles.
Le
vrai maître du Japon est le shogun, chef suprême de la classe des guerriers,
les samouraï ; il habite Edo, la véritable capitale du royaume, qui
possède déjà deux millions d’habitants.
Mais
il faut respecter les règles : au début de chaque année, le gouverneur
d’Edo s’en va porter humblement à
l’empereur les vœux du shogun et lui jurer de sa part obéissance et loyauté. En
revanche, aux premiers jours du printemps, des émissaire du mikado viennent à
leur tour assurer le shogun de la confiance de leur maître.
Il
s’agit là d’une démarche particulièrement importante, qui montre au peuple la
légitimité du shogun, fait reconnaître officiellement son pouvoir. Aussi, en
cette année 171, le shogun Tokugawa donne-t-il des ordres pour que les
émissaires du mikado soient reçus en grande pompe, le plus fastueusement
possible. Il charge Asano Naganori
d’organiser leur séjour.
-Seigneur,
dit l’intéressé en s’inclinant, pardonnez-moi, je suis ignorant en matière
d’étiquette. Je ne connais pas tous les usages de notre cour et risque de
commettre ainsi des erreurs qui feront tort à votre réputation…
-Asano,
tu es un des princes qui gouvernent avec moi ce pays. Fais ce que je te
demande, et fais-le à la perfection. D’ailleurs, tu demanderas conseil à Kira
Yoshihisa, notre grand maître des cérémonies.
-En
ce cas, tout ira bien, seigneur.
Asano
s’incline et se retire ; il reste cependant préoccupé par la lourde
responsabilité que son maître vient de lui donner.
Leprince
Asaso n’a pas tort de s’inquiéter, car Kira Yoshihisa est un vieillard
corrompu, jaloux et malhonnête, ayant au moins deux raisons de le détester. La
première est qu’Asano est vingt fois plus riche que lui, maître du château
d’Ako, gardé par trois cents samouraï, et gouverneur de la province d’Iga. La
seconde, c’est qu’il est amoureux de la jeune et belle épouse du prince, et que
celle-ci, bien entendu, a repoussé ses avances, allant même jusqu’à le menacer
du poignard qu’elle porte dans ses vêtements, comme toutes les femmes de la
haute société. Par malheur, l’épouse du prince n’a pas jugé utile de prévenir
son mari des manèges de Kira, tant elle dédaigne ce dernier.
Ce
qui n’arrange pas les choses non plus : le daimyo Asano, lui, a des
principes d’honneur et de droiture. Il estime que les fonctionnaires doivent
remplir au mieux leurs devoirs, sans qu’il soit besoin de les « acheter »
en leur offrant des cadeaux, comme c’est l’usage. Aussi, se contente-t-il
d’envoyer des serviteurs au chef du protocole, lui annonçant qu’il aura besoin
de lui.
Kira
enrage en recevant les serviteurs aux mains vides, ne lui portant que des présents
symboliques, de simple politesse. Mais bientôt sa rage se change en joie
maligne. Il vient de trouver le moyen de se venger du riche Asano et, par là
même, de sa chère épouse.
Que
fait-il. Il disparait, simplement. Ainsi, il ne pourra pas aider Asano de ses
conseils indispensables. Il se dit que, plus tard, il trouvera une excuse
publique à sa conduite : mais le mal sera fait, un mal que le puissant
shogun ne pardonnera jamais à son daimyo…
Les
envoyés de l’empereur sont annoncés, Asano Naganori essaie de s’organiser au
mieux. Ses gens cherchent partout Kira, mais il est facile à ce dernier de se
cacher dans la forteresse du shogun, si importante qu’elle possède, dit-on,
cent mille serviteurs et gardes !
Le
12 mars, les envoyés de l’empereur arrivent. Ils sont trois, fatigués du voyage
mais impassibles et solennels. Ils portent sur la tête un chapeau de tissu
laqué, de couleur violette, signe du rang le plus élevé. Le shogun Tokugawa les
reçoit aussitôt en audience. Là, tout se passe bien. Puis les émissaires se
retirent dans les appartements préparés pour eux.
Asano
est sur des charbons ardents :
-Mais
où est-il, ce vieux démon de Kira ? Demain, un banquet est prévu, une
représentation théâtrale… Malheur sur moi, si le moindre incident se
produit !
Le
13 mars, le repas est une réussite et les envoyés du mikado semblent éprouver
une grande satisfaction en regardant le spectacle traditionnel du Nô(1). Asano respire, mais il
sait ne pas être au bout de ses peines : le lendemain a lieu la grande
réception d’adieu offerte par le shogun à ses hôtes. Il faudra y respecter un
cérémonial compliqué, que lui-même ignore presque complètement. Il a essayé
d’interroger là-dessus d’autres seigneurs, mais chacun explique les choses de
façon différente…
Les
envoyés illustres sont à nouveau dans leurs appartements ; Asano vient de
les raccompagner en personne.
Et
voilà qu’au détour d’un couloir il aperçoit au loin une ombre maigre qui
trottine : Kira ! oui ! Kira Yoshihisa lui-même ! Il se
précipite :
-Kira !
Enfin, je vous trouve !
L’homme
n’est pas content, mais il est bien obligé de s’arrêter, un mauvais sourire aux
lèvres.
-Demain,
l’interroge le prince, que dois-faire, que dois-dire ? Renseignez-moi, je
vous en prie, je suis perdu…
-Il
fallait s’occuper de cela à l’avance, et dans les règles, réplique, réplique le
chef du protocole. Je n’ai pas le temps de vous parler aujourd’hui.
Et
il reprend sa marche dans le couloir, en haussant les épaules, content de lui,
laissant Asano stupéfait, anéanti.
Un
peu plus loin, pourtant, il se retourne et ajoute :
-Que
cela vous serve de leçon.
Cette
fois, c’en est trop : la phrase est une insulte ! en l’espace d’un
éclair, le sabre du prince se trouve dans sa main, tandis qu’un bond prodigieux
l’amène face à Kira :
-Vous
allez me répondre ! gronde-t-il. C’est l’ordre du shogun, votre maître et
le mien.
-Non…,
fait l’autre en hochant la tête.
Le
sabre ne lui inspire aucune crainte. Comme chef du protocole, il connaît assez
les règles pour savoir que son interlocuteur n’a pas le droit de se servir de
son arme en cet endroit et à cette
occasion.
Le
sabre siffle pourtant, d’un geste d’une précision inouïe.sa pointe coupe de bas
en haut la robe de soie de Kira, sans toucher la peau de l’homme. Celui-ci
hurle de saisissement devant l’offense, serre l’étoffe tranchée contre son
corps. Maintenant, il a peur, sans aucune réserve, ses insultes pleuvent :
-Fou !
Soudard ! Chien galeux ! à l’aide ! crie-t-il
-Vous
allez vous taire !
Asano
n’en peut plus d’indignation. Et la lame siffle à nouveau, frappant l’homme à
la douche d’une longue estafilade. Le sang jaillit… Mais déjà les gardes du
shogun sont arrivés ; ils interviennent, arrêtent le prince malgré son
rang. La loi est formelle : nul n’a le droit de tirer la lame hors du
fourreau dans le palais du chef suprême des samouraï.
-Nous
allons prévenir notre maître.
La
colère du shogun est grande, sa punition terrible. Sans même écouter le récit
complet de l’affaire, il ordonne le hara-kiri(2) pour son daimyo, qui a
osé frapper un seigneur désarmé dans l’enceinte de sa propre maison…
Asano
Naganori passe la nuit en méditation, vêtu de vêtements blancs immaculés. Il
écrit, comme le veut l’usage, un dernier poème, y parle de ses trente-six
années d’existence qui vont maintenant se disperser au vent comme des pétales
de fleurs…
A
l’aube, il dit adieu à sa femme et s’enfonce calmement dans le ventre la lame
de son sabre. Selon la croyance des samouraï, c’est dans cette partie du corps
que se trouve la source de la force, le siège de la vie.
Ils
sont deux cents quatre-vingt-dix-neuf guerriers alignés près de la porte du
château d’Ako. Ils se tiennent immobiles, pas un muscle de leurs visages ne
bouge. Ils écoutent… ce sont les deux cent quatre-vingt-dix-neuf samouraï de la
garde du prince Asano. Le trois centième, Muralami Kiken, est loin en
mission ; il ignore tout du drame dont son maître a été la victime.
Devant
les samouraï, l’envoyé du shogun est dressé sur son cheval nerveux. Vêtu d’une
cirasse légère couverte de poussière du chemin, les deux sabres au côté et sur
le vente, il tient en main un long parchemin qu’il lit d’une voix criarde.
Les
samouraï n’écoutent pas, ils continuent de réfléchir. Ils savent depuis la
veille tout ce que dit le héraut : la mort d’Asano Naganori, la confiscation
de ses maisons d’Edo, de son château et de tous ses domaines. Ils savent aussi
le rôle de Kira, le maître des cérémonies… et c’est là-dessus que leurs
sentiments divergent.
Le
propre frère d’Asano est venu les voir la nuit précédente, alors qu’ils tenaient
conseil autour d’un vaste feu de bois. Il leur a dit qu’il fallait s’incliner
devant la volonté du shogun, devant la justice du shogun. Et beaucoup pensaient
comme lui.
Mais
d’autres ont réagi de façon différente. Le valeureux Oishi Kuranosuke le premier.
-Eh
quoi ! avait-il grondé, nous avons pendant des années servi un maître
digne et noble, un maître qui nous a fait confiance et nous a traité comme des
frères. Et aujourd’hui qu’il est mort, victime d’un scélérat, nous n’aurions
qu’à nous incliner, qu’à dire merci et à partir chacun de son côté en oubliant
le passé et l’offense ?
-Nous
sommes les serviteurs du daimyo, répliquaient les autres, mais le daimyo est le
serviteur du shogun. C’est le shogun qui détient la vérité suprême.
Oishi
avait serré les poings, sans se laisser convaincre :
-Non !
je nepeux accepter…
L’homme
à cheval termine sa lecture. Il replie le parchemin et annonce en relevant la
tête :
-Un
autre gouverneur viendra très vite. Il possède ses propres samouraï et n’aura
pas besoin de vous. Vous devrez avoir quitté le château avant son arrivée.
Là
non plus, les deux cent quatre-vingt-dix-neuf guerriers n’ont aucune réaction.
L’envoyé du shogun les regarde un instant, hausse les épaules, tire la bride de
son cheval mongol, le talonne et repart au grand galop en direction de la
capitale. Il a une longue traite à parcourir, sept ou huit jours de
voyage : Edo se trouve à six cents kilomètres de la province d’Iga.
C’est
seulement lorsque la silhouette du cavalier a disparu au loin qu’Oishi prend la
parole.
-Nous
voilà devenus des ronins(3), dit-il calmement. Que
ceux qui approuvent mes paroles de cette nuit me suivent. Nous verrons ce qu’il
convient de décider.
Quarante-six
ronins suivent Oishi, les autres s’écartent. Alors, les quarante-sept guerriers
fidèles rédigent ensemble un serment sur un rouleau de papier, avec leur propre
sang en guise de peinture. Ce rouleau, ils vont le brûler devant l’autel des
Esprits et en boire chacun les cendres dissoutes dans du saké(4).
Oishi
leur expose ensuite son plan. Ils jurent tous de n’en parler à personne et de
le respecter, leurs quarante-sept sabres tendus vers le soleil.
Et
puis, à leur tour, ils vont partir, l’un après l’autre, abandonner le château
de leur maître défunt… Lorsqu’un mois
plus tard le nouveau daimyo arrive avec ses soldats, ses seigneur, ses
équipages, il n’y a plus un seul guerrier dans la forteresse d’Ako.
Le
trois centième samouraï, Murakami Kiken, revient de voyage. En même temps que
la tristesse, la colère lui étreint le cœur en apprenant la mort du prince
Asano. Il recherche ses compagnons, ne retrouve personne.
-Ils
sont tous partis ! s’écrie-t-il. Kira Yoshihisa peut donc vivre en
paix ? Ce n’est pas possible ! Je dois revoir les autres samouraï,
quelques-uns du moins, savoir ce qu’ils ont décidé…
Murakami
se renseigne, bat la campagne. Il finit par retrouver Oishi. Le ronin est
attablé dans une taverne proche, buvant du saké, les yeux brillants, le teint
rouge, ivre en apparence.
-Oishi !
c’est moi, Murakami. J’ai appris la terrible nouvelle…
-Murakami !
De quelle nouvelle parles-tu ? La mort d’Asano ? Bah ! il meurt
des samouraï tous les jours. Assieds-toi, plutôt que de divaguer, et viens
boire avec moi.
-Lâche !
crie Murakami. Toi que je considérais comme le meilleur d’entre nous !
oui, tu n’es qu’un lâche !
L’espace
d’une seconde, la bouche d’Oishi semble se tordre de colère sous la terrible
injure qui le frappe, un éclair flamboie dans son regard, son bras se lève…
Puis les lèvres se détendent, les yeux se ternissent, le bras retombe.
-Viens
boire ! répète-t-il en hoquetant.
Marakami
est déjà parti, pâle de désillusion… il cherche d’autres anciens compagnons, en
retrouve encore certains. Mais le premier affirme que la loi du shogun est la
loi la plus haute, le second lève les bras au ciel en disant :
-Pourquoi
parler de vengeance ? Il faut vivre. Tiens, je viens de m’engager chez un
riche marchant. Je pars accompagner une caravane, la protéger des voleurs.
Veux-tu venir avec moi ?
Non,
personne ne songe à venger le prince Asano. Les uns sont sincères. Quant aux
autres, les quarante-sept fidèles, ils cachent leurs sentiments, car ils ont
juré de se traire jusqu’à l’heure de la vengeance. Un serment que nul n’a le
droit de trahir, même pour Muralami Kiken.
Car
ils savent que, à Edo, Kira, le chef du protocole est loin de se sentir en
sécurité et qu’il envoie espion sur espion dans la province d’Iga.
Les
espions s’en reviennent en disant à Kira Yoshihisa :
-Vous
pouvez dormir en paix, seigneur.
-Oishi ?
-Lui ?
Il ne fait que boire ! Il est ivre du matin au soir. J’ai tiré moi-même
son sabre hors du fourreau : la lame était couverte de rouille.
Kira
sourit, soulagé, son visage en grimace d’aise. Malgré la couche de fard qui le
couvre, la cicatrice du coup de sabre d’Asano se voit encore, rouge, allant de
l’oreille gauche presque jusqu’à la droite.
-Et
les autres samouraï ? demande-t-il pourtant.
-Ce
sont des ronins… Ils sont dispersés dans tout le pays, pour la plupart au
service de marchands ou de nobles.
-Vraiment !
-Muralami
Kiken, le seul, semble-t-il qui vous veuille du mal …seigneur, est parti pour
l’Empire du Milieu(5),
d’où il ne pourra revenir avant des années.
-C’est
bien, dit Kira Yoshihisa. Pourtant, au fond de lui-même, il reste troublé…
Il
n’a pas tort. En effet le feu couve sous la cendre. Il couvera encore de longs
mois, au prix des plus grands sacrifices pour chacun des quarante-sept fidèles.
L’un
refuse un jour de se battre alors qu’il est offensé. Il refuse, car il risque
de périr au cours d’un duel contre un homme de guerre habile et son serment lui
interdit de mourir encore.
Un
deuxième vend sa maison dépossède sa femme et son fils : il a besoin
d’acheter de bonnes armes pour d’autres compagnons trop pauvres pour en
acquérir eux-mêmes.
Un
troisième abandonne la fiancée qu’il aime, persuadé que la vengeance se
terminera mal, et ne voulant pas qu’elle soit malheureuse. Il se fait passer
pour un voleur afin que la jeune fille l’oublie vite.
On
dit que la mère d’un autre samouraï du prince Asano se poignarde afin de ne pas
être à charge pour son fils, dont elle devine la mission secrète…
Toutefois,
la plupart des proches et des amis des quarante-sept samouraï, familles nobles,
habituées aux choses de l’honneur, adeptes du bushiodo, ne comprennent pas.
Nombre de femmes, d’enfants, de camarades éprouvent honte et mépris, pour leur
mari, leur père ou leur ami, oublieux du devoir sacré !
Mais
les quarante-sept supportent toutes les offenses, tel Oishi lui-même, le preux
chevalier, qui boit comme un trou et brûle à l’intérieur de rage contenue.
Cela
jusqu’au jour où il devient clair que Kira Yoshihisa abandonne toute
inquiétude, et qu’aucun espion à sa solde ne se trouve plus dans la province.
Déguisé
en bateleurs, en joueurs de biwa(6), des samouraï se rendent
à leur tour à Edo, constatent que la garde autour du grand chef du protocole
est devenue moins nombreuse. Habilement, ils se renseignent sur les faits et
gestes de Kira, sa façon de vivre, sur son habitation en ville. C’est là, hors
du palais, qu’ils projettent de l’abattre.
La
résidence de Kira se dresse au bord d’une rivière, près d’un grand pont de
bois, au milieu d’autres habitations de notables, dans un quartier désert.
Elle
se compose d’un ensemble de bâtiments de bois, aux lourdes portes soigneusement
fermées. Il neige. Silencieusement, des barques accostent sur la rive.
Commandés par Oishi, les ronins sautent à terre, casqués, vêtus d’armures,
portant tous le Mon, signe distinctif
du clan d’Asano. Outre leurs armes, ils apportent des échelles et un lourd
bélier. D’autres samouraï, pendant ce temps, franchissent le pont, telles des
ombres.
Ils
sont au complet, les quarante-sept fidèles, progressant par bonds rapides vers
les bâtiments. Ceux qu’occupent Kira sont au fond d’une ruelle bientôt
atteinte.
-Les
échelles ! ordonne Oishi Kuranosuke.
Aussitôt
les échelles sont dressées, des archers montent au faîte du mur. Oishi sourit
de contentement.
-Au
bélier !
Douze
samouraï s’élancent, les plus robustes, portant sur leurs épaules la lourde
pièce de bois, ferrée à son extrémité… Un fracas énorme fait sursauter tout le
quartier. La porte ayant résisté, les coups de bélier se succèdent…
Douze
gardes veillent sur Kira. Réveillés, ils font irruptions, leurs armes à la
main, dans la cour intérieure. Les cordes des arcs se tendent, les flèches
sifflent
-Benzaï(7) !
La
porte d’entrée vient de s’écrouler ; la troupe des samouraï s’engouffre à
l’intérieur, hurlant un cri de guerre. Les gardes de Kira, ceux qui ne sont pas
tombés percés de flèches, sont alors
balayés en un instant. A peine quelques heurts d’acier contre acier se font-ils
entendre. La bataille ne dure guère.-Kira, où est Kira ?
Les
samouraï hurlent plus fort encore, affolant les servantes et les serviteurs
désarmés. Une femme montre du doigt un réduit utilisé pour serrer le linge
sale. C’est là que s’est réfugié le maître des cérémonies, blême d’épouvante…
Les
fidèles d’Asano le tirent de sa cachette.
-Qu’on
apporte ses sabres ! ordonne Oishi.
Mais
Kira se traîne sur le sol, gémit, pleure, implore la pitié, refuse de se
battre. A nouveau un sifflement dans l’air.
-Justice
est faîte ! dit Oishi
Dehors,
les serviteurs des maisons voisines se tiennent en armes devant les portes,
mais se gardent d’intervenir dans cette affaire d’honneur. Un des quarante-sept
samouraï monte sur un cheval qui l’attend, et part au grand galop : il est
chargé de prévenir la famille du prince Asano que celui-ci est vengé. Les
autres samouraï se dirigent vers les barques, y prennent place et descendent
lentement la rivière jusqu’au temple de sengaku-ji, où est enterré leur maître.
Là,
en procession solennelle, ils déposent sur la tombe du prince le sabre qui a
tué Kira et une note l’informant de l’accomplissement de la vengeance.
Ensuite,
ils vont se constituer prisonniers, sans résistance, auprès de la police du
shogun. Leur procès va durer plus d’un an ; le peuple d’Edo les acclame à
chaque occasion, et nombre de samouraï viennent leur rendre hommage. Le shogun
lui-même les admire. Il les fait pourtant condamner à mort par hara-kari, une
mort honorable, comme celle de leur maître.
Comme
lui, le 4 février 1704, quarante-sept ronins vêtus de blanc, couleur de deuil,
vont écrire chacun leur poème d’adieu, respirer une dernière fois l’odeur
d’encens que distillent les brûle-parfum, s’agenouiller, saisir d’une main
ferme leur sabre court et mourir de la mort des samouraï.
Ils
sont quarante-six seulement, car le shogun n’a pas voulu faire juger le
quarante-septième ronin, celui qui était allé prévenir la famille du prince.
Lui
va vivre jusqu’à l’âge de quatre-vingt-six ans, avant d’être enterré parmi ses
compagnons au temple de Sengaku-ji.
Mais,
en vérité, il y a aujourd’hui quarante-huit tombes au temple on y a mis aussi
celle de Murakami Kiken, le samouraï parti en Chine, désespéré car, à son
retour, lorsqu’il apprit la vengeance, il se sentit si coupable d’avoir traité
ses frères d’armes de lâches qu’il voulut partager leur sort et se fit
hara-kiri aussitôt
Telle
est la légende des quarante-sept ronins fidèles, une légende qu’aujourd’hui
encore chaque Japonais connaît par cœur
1 Théâtre lyrique japonais, où se mêlent la musique, la danse, la prose et la poésie
2 Suicide particulier au Japon qui consiste à s’ouvrir le ventre horizontalement au moyen d’un sabre court.
3 Samouraï sans maître
4 Alccol de riz
5 Nom par lequel les Chinois désignaient leur pays.
6 Luth
7 en avant
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