lundi 14 juillet 2014

Cordes (Cordes sur Ciel) par Gustave de Clausade-2


II.
Ce document, transcrit dans le recueil du président Doat, exécuté par ordre de Louis XIV en 1669 et conservé à la Bibliothèque impériale à Paris, est une donation faite par Guillaume, évêque d’Albi, au chapitre de Sainte-Cécile de la même ville, le 7 des calendes de juillet 1224.
Avant de le transcrire à notre tour, il est utile de rappeler au milieu de quelles circonstances elle s’est produite et d’en faire connaître l’auteur. C’est parce qu’on a négligé de soumettre à un examen critique de cette nature la prétendue charte de fondation de la ville de Cordes de l’an 1222, qu’on a confondu en une seule deux époques différentes, et qu’on a commis diverses méprises que ce mémoire se propose de relever
Guillaume Petri ou Guillaume Pierre de Bérens, élu évêque d’Albi en 1185, appartenait à une grande maison de l’Albigeois, qui possédait, au XIe siècle, sous la suzeraineté des vicomtes d’Albi, les seigneuries des châteaux de Bérens, Cahuzac et Montagut(1). Au siècle suivant on voit cette famille rendre hommage en outre pour le château de Gaillac voisin des trois précédents. Mais elle accrut surtout sa puissance par la nomination d’un de ses membres, du nom de Guillaume-Pierre, comme le futur évêque d’Albi, à la charge de Sénéchal d’Albigeois, pour le vicomte Raymond-Trencavel. Un autre Guillaume-Pierre était administrateur du diocèse d’Albi en 1177 ; enfin, l’évêque nommé en 1185, auparavant chanoine de l’église Saint-Salvi de la même ville, ajouta un nouveau lustre à l’éclat de sa maison et joua un rôle important dans son diocèse pendant la guerre des Albigeois.
Guillaume-Pierre fut dévoué à la cause des vicomtes d’Albi, Carcassonne et Béziers, comme l’avaient été ses ancêtres qui, après avoir eu des différends entre eux, s’étaient montrés leurs plus fidèles vassaux dans leurs guerre continuelles contre les comtes de Toulouse.
L’hérésie des Albigeois avait été condamnée depuis vingt ans par le Concile de Lombers (1165), lorsque Guillaume-Pierre parvint au siège épiscopal d’Albi. Les nouvelles doctrines, continuant plus que jamais à séduire de nombreux adeptes, Philippe-Auguste crut devoir, à la sollicitation du pape, publier, en 1208, une croisade contre les Albigeois.
Nos provinces méridionales ne tardèrent pas à être envahies par une armée formidable. Simon de Montfort, devenu chef de la croisade et investi, après la prise de Carcassonne -1209), des domaines conquis et à conquérir de Raymond Roger, vicomte de Béziers, Carcassonne, Albi, etc., fut attiré en Albigeois par l’évêque du diocèse, et obtint d’abord, grâce à lui, la soumission volontaire de la ville de Castres, « la clé de tout le territoire albigeois, » et celle de Lombers, déjà célèbre par son concile. Puis, ajoute Pierre de Vaulx-Cernay, qui prit une part active à la croisade dont il a raconté l’histoire, vint notre comte à Albi, laquelle cité avait appartenu au vicomte de Béziers. L’évêque d’Albi, Guillaume, qui en était le principal seigneur, le reçut avec joie pour maître et lui remit la ville. Que dirai-je ? le comte prit alors possession de tout le diocèse albigeois, à l’exception de quelques château que tenait le comte de Toulouse qui les avait enlevés au vicomte de Béziers(2). »
Bientôt après, un grand nombre de chevaliers des diocèses de Béziers, de Carcassonne et d’Albi, rompirent la foi qu’ils avaient promise à Montfort. Celui-ci, après avoir fait rentrer sous sa domination plusieurs places du pays toulousain (1211), « passa le Tarn et marcha sur un certain château nommé Rabastens, au territoire albigeois, qui lui fut livré par les bourgeois. Après quoi, poussant devant lui, profitant et croissant toujours, il acquit de la même manière, sans coup férir et condition aucune, six autres nobles châteaux, dont voici les noms, savoir : Montaigu, Gaillac, Cahusac, Saint-Marcel, La Guépie et Saint-Antonin, lesquels tous voisins l’un de l’autre, le comte de Toulouse avait ôtés au vicomte de Béziers »(3)
Simon de Montfort venait de forcer le comte de Toulouse à lever le siège de Castelnaudary, lorsqu’il « apprit que les gens d’un autre château appelé Montagut, au diocèse d’Albi, s’étaient rendus au comte de Toulouse et assiégeaient la forteresse du lieu, ensemble ceux à qui notre comte en avait confié la garde, il partit derechef, et marcha rapidement au secours des siens ; mais avant qu’il pût y arriver, ceux qui étaient dans la citadelle l’avaient déjà livrée aux ennemis. Que dirai-je ? tous les castels des environs, lieux très nobles et très forts, à l’exception d’un très petit nombre, avaient passé aux Toulousains presque en un même jour, et voici les noms des nobles châteaux qui furent alors perdus ; au diocèse d’Albi, Rabastens, Montagut, Gaillac, le château de la Grave, Cahusac, Saint-Marcel, La Guêpie, Saint-Antonin(4). »
A la fin de décembre 1211, le chef de la croisade fut rejoint à Castres, par son frère Guy de Montfort, qui revenait d’outre-mer, et ils marchèrent ensemble à la conquête des châteaux de l’Albigeois qui venaient de se soustraire à l’autorité des Croisés. Ils ouvrirent la campagne dans ce pays par la prise du château de Tudelle, dont ils passèrent impitoyablement la garnison au fil de l’épée. Ils prirent ensuite, mais à grand’peine Cahusac, ancienne seigneurie de la famille de l’évêque d’Albi, et marchant au-devant des comtes de Toulouse, de Comminges et de Foix, rassemblés à Gaillac, ils les poursuivirent sans les atteindre jusqu’au château de Montagut. Montfort revint à Cahusac où il avait trouvé beaucoup de vivres et y passa plusieurs jours ; de ce lieu, il fit demander à l’abbé de Citeaux qui se trouvait alors à Albi, ce qu’il fallait faire, et l’avis du légat du Pape fut qu’on devait assiéger le château de Saint-Marcel(5).
Les historiens ont vainement cherché à comprendre pour quel motif Simon de Montfort se dirigea de Cahusac vers le fort de Saint-Marcel. Il semble qu’il aurait été d’une meilleure combinaison stratégique de marcher contre le comte de Toulouse qui s’était avancé vers les Croisés, et qui ne trouvant pas son armée assez nombreuse pour les combattre, avait rétrogradé d’abord jusqu’à Montaigut, et puis jusqu’à Toulouse.


1 Bérens, aujourd’hui Brens, sur le Tarn, village qui a donné son nom à une commune du canton de Gaillac. – Cahuzac-sur-Vère, village dont le nom est devenu celui d’une commune du canton de Castelnau-de-Montmiral, arrondissement de Gaillac. -Montagut, dans la commune de Lisle, arrondissement de Gaillac, ancien château qui précéda la construction de la ville de Lisle.
2 Histoire de l’hérésie des Albigeois et de la sainte guerre entreprise contre eux (de l’an 1203 à l’an 1208), par Pierre de Vaulx-Cernay, chap.25.- Collection des mémoires relatifs à l’Histoire de France, par M. Guizot.
3 Pierre de Vaulx-Cernay, chap. 54, traduction de M. Guizot.- On a mis une note après le nom de ces six châteaux, pour faire connaître leur situation. Celle qui se rapporte à Saint-Marcel contient une erreur manifeste, car le texte prouve clairement qu’il ne peut être question de « celui qui est au diocèse de Narbonne », mais de Saint-Marcel en Albigeois.
4 Pierre de Vaulx-Cernay, chap. 59.- Saint-Antonin (Tarn-et-Garonne) faisait partie du Rouergue, et non de l’Albigeois ; mais à cause de son voisinage de ce dernier pays, il complétait les expéditions militaires envoyées vers cette partie de l’Albigeois, comprise aujourd’hui dans l’arrondissement de Gaillac (Tarn)
5 « Misit dominus Comes ad abbatem cisterciensem qui erat apud Albiam, quaerens ab co quid facto opus esset. Consillium antem abbatis fuit ut comes obsideret Castrum illud Sancti Mardlli quod prope Albiam ad tres leucas situm erat:” Petri Vallium Sarnaii monachi historia Albigensium et sacri belli in cossuscepti, caput IX. – Apud Rerum Gallicarum e tFrancicarum scriptores. Tom.XIX, p.58

On ne s’explique pas, dit le général Moline de Saint-Yon, comment Montfort consentit à se conformer à une telle proposition ? Quelle raison le portait à s’emparer de cette forteresse plutôt que de cent autres ? Saint-Marcel n’interceptait aucune des routes conduisant à Toulouse, la métropole sur laquelle se concentraient ses désirs ; d’ailleurs ce point étaie en dehors de toute base d’opérations, de tout centre d’action. Un seul motif le décida sans doute : le général catholique, dans cette circonstance, en montrant aux légats du Pape une soumission aveugle, voulut rester fidèle à la ligne de conduite qu’il s’était tracée ; par là il se ménageait l’appui et les faveurs de l’Eglise »(1).
Cette explication peut, jusqu’à un certain point, absoudre Montfort d’une faute qu’on lui reproche comme homme de guerre, mais elle ne répond pas à la question, car elle ne dit pas ce qu’il nous serait utile de savoir en ce moment, pourquoi les conseillers de Simon de Montfort le pressèrent avec tant d’insistances de diriger ses troupes vers Saint-Marcel ? Ces conseillers n’avaient-ils pas un intérêt particulier à satisfaire, soit pour eux-mêmes, soit pour leurs proches ? N’envisageaient-ils pas la cause qu’ils servaient au point de vue restreint du pays où ils exerçaient leur influence ? Parmi eux, ne voyons-nous pas l’évêque d’Albi, que les historiens Guillaume de Puylaurens et Pierre de Vaulx-Cernay nous représentent comme un des plus fermes appuis de la cause catholique. C’était lui surtout qui avait appelé l’armée des Croisés en Albigeois, et il est bon de remarquer que l’expédition qui nous occupe semblait aussi avoir pour cause le désir de recouvrer d’anciens fiefs de la maison de Bérens. Celle-ci avait de nombreuses possessions dans cette partie du diocèse d’Albi qui s’étendait du Tarn à l’Aveyron. Tout nous porte à croire que Saint-Marcel, bâti sur le flanc d’un coteau de la rive droite du Cérou, affluent de l’Aveyron, était compris dans les domaines des Bérens, ou qu’ils y jouissaient du moins de divers droits seigneuriaux. Le dévouement religieux de Guillaume-Pierre ne l’avait pas dégagé de l’ambition des biens terrestres, il encourut même à ce sujet le blâme du Pape. D’après un ouvrage inédit cité dans les Archives historiques de l’Albigeois(2), cet évêque avait logé par trois fois saint Dominique à Albi, et avait eu avec lui de grandes conférences pendant son séjour. Il se croisa, dit le manuscrit, avec Simon de Montfort, le reçut dans Albi, lui baillant la ville pour sûreté quoiqu’il en fût le véritable seigneur. Il supporta les dépenses des sièges de Saint-Marcel et de Penne pour chasser l’hérésie de son pays. »
L’explication que nous cherchions tout à l’heure ne serait-elle pas trouvée ? C’est à la sollicitation de l’évêque d’Albi que l’armée de la croisade, accrue par les renforts que lui amena de Bruniquel Baudouin, de Toulouse, frère félon de Raymond VI, se rendit de Cahusac à Saint-Marcel.
Ce château avait pour gouverneur le fils du seigneur du château de Tudelle, Géraud de Pépieux « vaillant homme, qui avait abandonné Simon de Montfort et s’était mis avec le comte Raymond(3). » Soutenu par ce dernier et par les comtes de Foix et de Comminges, G2raud de Pépieux opposa une si forte résistance que Simon de Montfort, ne pouvant investir la place avec ses troupes, réduit à la plus dure extrémité faute de vivres et de munitions, fut obligé , le 24 mars 1212, de lever le siège, commencé depuis plus de deux mois. « Ce fut, dit la chronique en vers, de la guerre des Albigeois, par une fête que l’on nomme Epiphanie, et au moment de l’année où l’hiver est le plus dur, qu’ils assiégèrent Saint-Marcel, ce qui fut à eux grande folie, car ils n’y firent chose qui vaille une pomme gâtée, sinon de la dépense(4). »
Ainsi finit misérablement le siège de ce château que Pierre de Vaulx-Cernay, qualifie de Castrum vero magnum et fortissimum dans l’intéressante narration qui lui a consacrée.
Simon de Montfort revint sur les bords du Tarn, d’où il était parti pour cette expédition. Il trouva à Albi Arnaud, abbé de Citeaux, élu à l’évêché de Narbonne, et Guy, abbé de Vaulx-Cernay, élu à l’évêché de Carcassonne. Ils étaient alors les deux âmes de la croisade dont Simon de Montfort fut le bras. Guillaume-Pierre, évêque et seigneur d’Albi, lui remit les clés de sa ville épiscopale. Il servit de sa personne dans les rangs des Croisés, tandis qu’un de ses cousins de son nom était dans ceux des Albigeois. Simon de Montfort, pour reconnaître ses services, lui donna à Albi, le 3 août 1212, pour lui et pour ses successeurs, les châteaux de Rouffiac et de Marsac, aux environs d’Albi : son fils y ajouta par la suite (1218) plusieurs autres domaines d’alentour confisqués aux hérétiques.
Quelques mois après cette expédition dans le diocèse d’Albi, de puissants secours parvenus aux Croisés leur firent reprendre l’offensive. Monfort, victorieux du côté de Castelnaudary, reparut sur les bords du Tarn. Les villes de Rabastens, Montaigut et Gaillac qu’il trouva sur son passage lui ouvrirent leurs portes. «  Jamais, si Dieu me bénit, dit l’historien poète, je ne vis, avec moins de défaites, perdre et déguerpir tant de châteaux(5) » Les bourgeois du château qu’on nomme Saint-Marcel, apprenant que notre Comte, après avoir recouvré plusieurs places, arrivait vitement sur eux pour les assiéger, eurent grand’peur et députèrent vers lui, le suppliant qu’il daignât les recevoir à vivre en paix avec lui, qu’ils lui livreraient leur château à discrétion. Maislui, repassant leurs scélératesses et perversités inouïes, ne voulut, en aucune façon, composer avec eux, et, leur renvoyant leurs émissaires, leur manda qu’ils ne pourraient oncques rentrer en paix auprès de lui, ni en bonne intelligence, à quelque prix ou conditions que ce pût être.

1 Moline de Saint-Yon. Histoire des comtes de Toulouse, t. III, p. 351.
2 P. 79. Extrait du manuscrit de M. Gardès, d’Albi.
3 Histoire de la guerre des Albigeois (en langue vulgaire, dans la collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France, par M. Guizot, t. XV.
4 Fauriel, Histoire de la Croisade contre les Albigeois.
5 Idem, page 171

Ce qu’entendant lesdits hommes de Saint-Marcel, ils  déguerpirent au plus vite et désertèrent leur château, qu’à notre arrivée le Comte fit brûler, de dont la tour et les murs furent rasés(1).
Où s’étaient enfuis les habitants de Saint-Marcel à l’approche de Simon de Montfort ? Pourquoi, après son passage ne rentrèrent-ils pas dans leurs demeures, à l’exemple des habitants des localités voisines ? Saint-Marcel dut être plus durement traité, comme étant plus coupable. On y détruisit pas seulement le château-fort, mais avec lui toutes les maisons qui l’environnaient. Simon de Montfort voua ce lieu maudit à une éternelle solitude. Il ne devait plus renaître après l’expiation. C’est ailleurs qu’il faut chercher ses habitants. Leur exil imprima à ce rocher, tristement célèbre de la vallée de Cérou, un caractère de désolation qui frappe le voyageur : la vengeance de Montfort y a laissé des traces émouvantes. On y voit aujourd’hui quelques modestes maisons de cultivateurs timidement appuyés contre les ruines des anciens remparts.
Les histoires locales, basées sur la tradition populaire, disent que les habitants de Saint-Marcel cherchèrent un refuge dans un château voisin appartenant au comte de Toulouse. Ce château, d’une force remarquable par sa position stratégique entre toux ceux de la contrée, était bâti au sommet d’un mamelon isolé et de forme conique, à 9 kilomètres de Saint-Marcel, et comme ce dernier, sur les bords du Cérou. C’est là que s’élève aujourd’hui la ville de Cordes. Raymond VI, pour engager les réfugiés de Saint-Marcel à se fixer auprès d son château, jusque-là simple rendez-vous de chasse, toujours d’après la tradition, aurait accordé de nombreux privilèges à ceux qui bâtiraient des maisons à l’entour. Ainsi, un nouveau centre de population et une nouvelle commune devraient leur origine à Raymond VI et non à la charte de Raymond VII, dans laquelle se trouve mentionné pour la première fois le nom de Cordes.
Les historiens de l’Albigeois n’ont pas remarqué qu’entre la destruction de Saint-Marcel et la charte qui aurait été accordée à ses habitants fugitifs, il s’est écoulé un espace de dix ans. La première date en effet de 1212, et la seconde de 1222. L’émigration des habitants de Saint-Marcel vers le château qui portait déjà ou qui reçut seulement après eux le nom de Cordes, ne parait pas douteuse. En cela la tradition est confirmée par un document historique. On en trouvera la preuve logique, quoique indirecte, dans la charte même de 1222, que nous analyserons bientôt ; mais il n’en est pas moins vrai que tous ceux qui ont parlé jusqu’ici de l’origine de Cordes, nous induisent en erreur quand ils rapprochent l’un de l’autre, de manière à les confondre, deux faits très distincts ; quand ils laissent entendre que ce fut immédiatement après la catastrophe de Saint-Marcel que le comte de Toulouse accorda la charte de fondation de la ville de Cordes.
Cette ville existait antérieurement à la charte de 1222, puisque les malheureux habitants de Saint-Marcel, condamnés à fuir leurs demeures, y trouvèrent un refuge en 1212, et qu’ils y jouirent de leurs anciennes coutumes, ainsi que nous le verrons plus bas.
Le seigneur qui leur offrit asile et protection, ne pouvait pas même à cette époque être le comte de Toulouse. Le récit des événements qui suivirent la destruction de Saint-Marcel ne permet pas de le penser. « Partant de là, dit Pierre de Vaulx-Cernay, nous marchâmes sur un autre château voisin, qu’on nomme Laguépie, et l’ayant trouvé vide pareillement, il (Montfort) en ordonna la destruction, le brûla et passa outre, allant au siège de Saint-Antonin.(2) »
D’après la chronique en vers de la guerre des Albigeois, l’host des croisés s’était emparé en passant des châteaux de la Garde et de Puycelsi, lorsque « avec grand fracas et grand bruit, il abattit et détruisit Saint-Marcel. »

En la host dels Crozats a gran noiza, a gran brug
Sent Marcel deroqueron.................... (3)

1 Fugientes de castro suo, opsum vacuum reliquerunt, ad quod cum venissemus, fecit illud comes comburi, turrimque ejus et omnes muros penitus adaequari. Petri, vallium Sarnaii monachi historia Albigensium caput LXIII. Apud script, rer, Gallic et FRancic, tom. XIX, p. 61
Le comte de montfort a tost le pays recobrat autre cop en sa ma et ainsin aprèslodit Sanct Marsal, ... loqual Sanct Marsal lodit comte de Montfort fec arrasar et abatre que no demoret peyra sur peyra. (Hist. Gén. De Lang., t. III, preuv. Col.46.
2 Chap. LXII.
3 Fauriel, p. 171

La connaissance des localités peut servir à indiquer la marche que suivit Simon de Montfort. Si, au lieu de venir directement à Saint-Marcel par Gaillac et Cahuzac, comme il l’avait fait l’année précédente, il se détourna pour s’assurer auparavant de Puycelsi, il dut remonter le Céron et longer le riche vallon qui se déroule au bas de la ville de Cordes. Il redescendit peut-être cette rivière pour aller de Saint-Marcel à Laguépie, au confluent du Viaur et de l’Aveyron et de là à Saint-Antonin. Es deux châteaux de Saint-Marcel et de Laguépie étaient compris l’un et l’autre dans la claverie de Cordes, et furent sans doute de tout temps sous sa dépendance. C’était une station obligée qui commandait à tout le pays, et d’où peuvent fort bien être parties les expéditions pour Saint-Marcel, Laguépie ou Saint-Antonin. Quoi qu’il en soit, il n’est pas possible de supposer que la place naturellement si forte de Cordes ne fût pas déjà au pouvoir de Montfort avant la destruction de Saint-Marcel, quand nous savons que la contrée toute entière lui était soumise. Le silence de l’histoire prouve seulement qu’elle s’était livrée sans opposition.
Quand on considère l’aspect des lieux, on ne saurait admettre que Cordes n’existait pas encore et comme château et comme agglomération d’habitants. Des populations guerrières ne pouvaient négliger d’occuper la position de Cordes, de beaucoup préférable à toutes celles du voisinage où ils s’étaient établis. Si les souvenirs historiques de Saint-Marcel et de Laguépie, par exemple, remontent plus haut que ceux de Cordes, cela peut tenir à des circonstances fortuites, peut-être à ce que les historiens n’ont pas soupçonné que Mordania fut le synonyme de  Cordes.
La ville de Saint-Antonin, située en Rouergue, sur les bords de l’Aveyron, et tout auprès des limites de l’Albigeois, voulut d’abord opposer de la résistance, malgré les exhortations contraires de l’évêque d’Albi, qui commandait l’avant-garde de l’armée de Simon de Montfort et l’avait précédé à Saint-Antonin. La mission de ce prélat était d’éclairer la marche des Français, afin de prévenir les malheurs d’une conquête armée dans un pays où il exerçait une grande influence. Le vicomte de Saint-Antonin, assiégé dans le château de cette ville, fut obligé de se rendre à discrétion, et Simon de Montfort le punit de sa témérité par de sanglantes représailles. Les Croisés se dirigèrent ensuite vers l’Agenais en laissant derrière eux le pays d’Albigeois entièrement soumis.
Le château de Cordes n’appartenait donc plus au comte de Toulouse, car Montfort n’aurait pu aller au-delà sans réduire à son obéissance une place si bien défendue par la nature et qui, par sa position exceptionnelle, commandait à une partie de l’Albigeois. La nécessité d’une attaque se serait encore mieux fait sentir si les réfugiés de Saint-Marcel avaient été s’y renfermer pour accroître le nombre des défenseurs de la cause albigeoise. Ils étaient venus dans ce château, épouvantés et suppliants, pour y vivre sous la domination des croisés et sans doute sous la protection spéciale de l’évêque d’Albi. Ce négociateur de la paix pour le compte de la croisade avait, dans cette contrée, et selon  toute apparence à Cordes mêmes, comme nous le verrons plus bas, des droits seigneuriaux importants. Ces droits, ces privilèges, dont il ne pouvait jouir en paix sous l’autorité du comte de Toulouse, son ennemi, et qu’il devait recouvrer par l’intervention de la croisade, n’auraient-ils pas été un des mobiles de l’expédition de Simon de Montfort en Albigeois ?
Avant la fin de l’année 1212, celui-ci avait en son pouvoir presque tous les Etats du comte de Toulouse(3), et s’occupait d’une nouvelle organisation à donner aux provinces conquises. La bataille de Muret, fatale à la cause albigeoise (septembre 1213), consacra la domination de Montfort et déposséda complètement de ses domaines la maison de Toulouse(2). Quelques années après, la fortune parut lui redevenir favorable, grâce au réveil dans le Midi du patriotisme national. Une nouvelle croisade fut prêchée en France contre les Albigeois et Montfort fut tué sous les murs de Toulouse (1218). Sous Amaury, son fils et son successeur, l’opposition du Midi à l’occupation française ne fit que s’accroître. De toute part les populations s’insurgèrent, et les seigneurs prirent les armes pour rentrer en possession de leurs domaines. Amaury de Montfort se porta en 1221 sur l’Albigeois, om son autorité était généralement méconnue, et ne fit que le traverser pour se rendre en Agenais.
Au mois d’août 1222, le comte Raymond VI mourut à Toulouse, après avoir recouvré une grande partie de ses domaines, entre autres l’Albigeois, qu’il transmit à son fils Raymond VII, dit le Jeune.
Son premier soin devait être de prendre possession de ses Etats, de recevoir le serment de fidélité des habitants, de confirmer en échange les anciens privilèges des municipalités, et, pour être agréable aux populations, de leur en accorder au besoin de nouveaux. La charte de Cordes fut faite dans ces circonstances. L’avènement du jeune héritier du comte Raymond VI en dit clairement le motif.
Cette charte ne porte pas le nom du lieu où elle a été écrite,  de sorte qu’on ignore si elle fut rédigée à Cordes même, en présence du comte, ou si elle fut remise par lui à la députation qui serait venue le trouver dans un autre lieu on sait qu’il était à Lavaur au commencement d’octobre 1222. La charte de la ville de Cordes est du 4 novembre. Elle est sur parchemin et conserve encore le sceau pendant de cire blanche de Raymond VII avec une double empreinte : d’in côté le comte est assis sur un trône, un glaive à la main et de l’autre, il est à cheval, la lance en arrêt, et couvert d’un bouclier aux armes de Toulouse.
Ce document a été publié pour la première fois par M. Cl Compayré, dans ses Etudes historiques et documents inédits sur l’Albigeois, sous le titre de : Chartre de fondation de la ville de Cordes par le comte Raymond VII ; il commence ainsi : « In nomine Domini anno incarnationis ejusdem MCCXII, II nonas novembris. Noverint universi proesentem paginam inspecturi quod nos Raimundus Dei gratia dux Narbonae, comes Tholosae, marchio provinciae, filius dominae Reginae Johannae per nos et per omnes haeredes et successores nostros donamus et concedimus libertates quae i,ferieus scribentur omnibus habitatoribus castrum nostrum de Cordoa quod est situm in territorio Albiensi : in primis concedimus et donamus omnibus illis qui dictum castrum batirare viluerint ; quod liceat eis a dificare domum et domos et mansiones pro voluntate sua in quibus nullum censum annualem retinemus ». Le comte se réservait au contraire sur les maisons qui seraient données en gage, vendues ou échangées, certains droits dont nous n’avons pas à nous occuper ici. Nous noterons toutefois qu’il est fait mention à ce sujet, non seulement du château, mais encore de ses faubourgs, ce qui prouve qu’il s’agissait d’une agglomération d’une certaine importance(4). Le comte de Toulouse ne se contenta pas d’accorder à tous ceux qui voudraient habiter le château de Cordes l’autorisation d’y construire des maisons à leur gré, et sur lesquelles il ne se réservait aucun cens annuel. Il affranchit encore les habitants de plusieurs charges et redevances seigneuriales(5)


1 De toutes les places de l’Albigeois l’histoire n’en mentionne qu’une seule, Puycelsi, qui appartenait encore ou qui était momentanément revenue, en 1213, au comte de Toulouse. Guy de Montfort en avait entrepris le siège qu’il leva bientôt après pour aller rejoindre son frère à Castelnaudary (juin 1213)
2 Les places qui, comme Rabastens et sans doute Puycelsi, malgré leur serment de fidélité à Montfort, s’étaient ralliées à Raymond VI, en furent réduites à implorer la clémence de Simon de Montfort.
3 Volumus enim quod non liceat alicui habitanti in dicto castro vel in suburbilis castri in domum suam alicul personae censum concedere, nisi nobis, ratione pignoris vel venditionis.
4Etudes historiques et documents inédits sur l’Albigeois, par M. Cl Compayré, Albi, 1811, p. 398
5Item concedimus quod quicumque dictum cstrum habitare voluerit sint liberi et ab quista, et ab tallia, et bladafa, et ab omni servitute immunes, nisi tamen de sua volintate nobis servire vellent.
La charte s’occupe d’abord des immunités en faveur des maisons à construire et des privilèges offerts à ceux qui viendraient les habiter, parce que c’était sans doute ce  qui intéressait le plus pour le moment. Nous sommes portés à croire, en admettant que ces dispositions fussent nouvelles et sans précédents à Cordes, que toutes les autres contenues dans la charte de Raymond VII n’étaient qu’une simple confirmation de coutumes antérieures.
Dans l’article placé à la suite des dispositions prises pour agrandir le château de Cordes et accroître sa population, le comte accorde aux habitants le pouvoir de disposer  de leurs biens comme ils l’entendraient ; il leur octroie et confirme (laudamus et confirmamus) la faculté de faire des testaments, des codicilles et des actes de dernières volontés(1). Ce mot confirmatus ne change-t-il pas en certitude une conjecture toute naturelle ? Du reste cette conjecture paraitrait  peu douteuse, quand bien même la Charte de 1222 ne contiendrait pas la preuve textuelle d’une confirmation.
Les autres dispositions sont relatives aux causes civiles et criminelles portées devant le bailli du Comte, aux droits à payer par les bouchers et les boulangers, aux peines encourues par ceux qui emploieraient de faux poids et de fausses mesures1 le Comte exempte les habitants des droits de leude ou de péage dans toute sa terre d’Albigeois, à moins qu’ils ne soient marchands. Enfin, par l’avant-dernier article, il se réserve sur les fours le droit de fournage tel qu’il était perçu au château de Saint-Marcel(2). Certaines dispositions de la coutume de Saint-Marcel avaient donc été  importées à Cordes par ceux qui s’y réfugièrent, en 1212, dans l’espoir d’y trouver un abri plus sûr. Ils n’apportèrent pas en ce lieu un premier noyau d’habitants, ils accrurent la population qui s’y était déjà fixée, et ils furent tenus, dans leur nouvelle résidence, d’acquitter entre autres droits seigneuriaux, ceux qu’ils payaient jadis à Saint-Marcel pour faire cuire leur pain.
La lutte se continua entre Amaury de Montfort et Raimond VII, comte de Toulouse, malgré quelques tentatives de rapprochement. Enfin, Amaury fut obligé, au mois de janvier 1224 de s’éloigner pour toujours du Midi et de revenir en France ; mais il abandonna au roi Louis VIII, le territoire dont son père avait été investi par le Saint-Siège. Le Pape écrivit au Roi pour l’engager à s’entendre avec le comte de Toulouse, et de son côté, celui-ci s’occupa activement de sa réconciliation avec l’Eglise. Il prit l’engagement, au concile de Montpellier (juin 1224), de rester fidèle à la foi catholique, de chasser les hérétiques de ses domaines et de restituer aux églises et aux ecclésiastiques tous les droits dont on les avait dépossédés. On attendant encore l’assentiment de la cour de Rome à cet accord, lorsque l’évêque d’Albi, pour seconder la réaction qui se manifestait envers le clergé, fit la donation, en date du 7 juillet 1124, dont nous avons déjà parlé et que nous allons transcrire textuellement, telle que nous la trouvons dans le Recueil de Doat, à la Bibliothèque impériale.
Donation faite par Guillaume, évêque d’Albi, au chapitre de Sainte-Cécile, des églises de Saint-Jean de Mordania et de Saint-Pierre de Crantol, avec toutes les dimes, prémices et autres droits ecclésisastiques                                
                                                                                  7° kalendas julii

Notum sitomnibus hominibus lam praesentibus quam futuris quod nos Guillelmus Dei gratia Albiensis epuiscopus, perpendentes fidelitatem venerabilis et religiosissimi capituli canonicorum ecclesiae Sanctae Ceciliae sedis nostrae, cognoscentes quod redditus sui sive proventus ad plenum sufficere non valeant, dedimus et concessimus eidem capitulo per nos et per successores nostros ecclesiassancti Johannis de Mordaniam et ecclesiam Sancti Petri de Crantol cum omnibus decimis, praemiciis et oblationibus de feodis ecclesisticis conctisque aliis dictae ecclesiae pertinentibus in perpetnum possidentes. Et si in podio vel juxta podium qui de novo construitur, quem homines Cordo sive Mordania nominant, sito infra pradictarum parochias ecclesiarum, ecclesia sive ecclesiae, capella sive capellae fundatae fucrint cum omnibus pertinentiis suis, mitendo praesenti cedula, in corporalem possessionem cum omnibus supradictis damus eas et concedimus in perpetuum capitulo suprradicto tali stabilitate donationis ut infra parochias supradictas vel in podio sive juxta podium superius nominatum, aloquis Religiosus, absque mandato et communi assensu praefati capitulin non possit condere ecclesiam aliquam, oratorium vel in podio sive juxta podium superius nominatum, aliquis Religiosus, absque mandato et communi assensu praefati capituli, non possit conder ecclesiam aliquam, oratorium vel capellam retentis nobis nostrisque successoribus omnibus usibus episcopalibus cum synodis et paratis ut hoc in perpetuum ratum haheatur et furmum praesentem cartam in testimonium nostro sigillo et contra siillo ci fecimus roborari. Actum est hoc anno incarnationis Jesus Christi millesimo ducentesimo vigesimo quarto, septimo kalendas julii(3)

Voici en peu de mots le résumé de cette donation : Guillaume, évêque d’Albi, considérant la fidélité de son vénérable chapitre des chanoines de Sainte-Cécile d’Albi, et connaissant l’insuffisance de ses revenus, lui accorde, pour lui et ses successeurs, les églises de Saint-Jean de-Mordague et l’église de Saint-Pierre-de-Crantol avec leurs dimes, prémices, oblations, etc.. et (remarquons bien le passage suivant) :si, au Pech ou près du Pech qui est construit de nouveau, et que les hommes appellent Cordoa ou Mordania, situé dans les paroisses desdites églises, il était fondé une ou plusieurs églises, une ou plusieurs chapelles, Guillaume, évêque d’Albi, entend qu’elles appartiennent audit chapitre de Sainte-Cécile, en vertu de cette même donation. Telle est, en substance le document inédit bien que souvent cité d’après un simple ouï-dire ; il exige, pour être bien compris et bien apprécié, un commentaire qui trouvera sa place dans la dernière partie de ce mémoire. Nous avons jusqu’ici cherché à découvrir l’origine probable de Cordes, d’après les événements historiques qui précédèrent la charte de Raymond VII, de l’an 1222, où son nom apparait pour la première fois. Nous venons de faire connaitre le texte même de la charte de 1224, qui prouve de Cordoa portait aussi le nom, sans doute primitif, de Mordania. Il nous reste à comparer ces deux documents, à rechercher dans l’histoire des temps postérieurs les faits qui s’y rattachent et peuvent servir à les expliquer. Nous aurons aussi à puiser dans les archives communales de la mairie de Cordes, où nous étudierons le Libre Ferrat, précieux livre consulaire de la fin du XIIIe siècle, dont la date a été mal précisée. Nous aurons enfin à nous demander à quelle époque appartiennent les maisons justement célèbres, qu’on a dit remonter à l’origine de Cordes, et qui offrent les plus beaux spécimens de l’architecture civile au moyen âge.


1 Quam disposiitonem et testamentum et codicillos et ultimam voluntatem cuilibet cum hoc praesenti instrumento lauddamus et confirmammus
2 Retinemus nobis furnum et furnos et persolvant nobis fortaiges sicut solitum est dari in Castro Sancti M               rcelli – (Etud. Hist., p. 400).
3Recueil de Doat, à la Bibliothèque impériale. Titres de l’évêché et cathédrale d’Albi, tome 1, f° 253. – Extrait par Jean de Doat, en 1669, des archives de l’église cathédrale de Sainte-Cécile d’Albi.







1 commentaire:

  1. Je cherche à vous joindre pour élèments complémentaires sur St Marcel près de Cordes (J'habite également à Cordes)
    patrick.ducome@gmail.com
    Rencontres de Montségur
    0882677923

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