lundi 14 juillet 2014

Bernard Pingaud-Ecrire aujourd'hui-1-bis

Ecrire aujourd’hui

Par
Bernard Pingaud

La littérature est une arme défensive. Pourquoi écrit-on ? Pour se justifier ou se distraire, pour « saluer la beauté », « promener un miroir le long d’une route », « faire concurrence à l’état civil », « donner un sens plus pur aux mots de la tribu ». Toutes ces raisons sont vraies ; mais, plus profondément, on écrit pour se défendre. L’ennemi que nous combattons est insaisissable : c’est une ombre, un vide, une absence. L’écriture n’a pas pour but de combler cette absence, elle prétend seulement la révéler.

Quelque chose a bougé : la réalité est devenue image. Ce que je regardais naguère avec une curiosité distraite s’est glacé sous mes yeux, comme si le spectacle s’écartait de moi ou comme si je m’écartais de lui. J’ai su de façon certaine que ce monde, toujours présent devant moi, et qui, selon toute apparence, n’avait pas changé, était pourtant devenu autre, ou plus exactement, qu’un autre monde, invisible, avait à ce moment précis jeté son ombre sur le monde familier que je contemplais. Ce fut bref, imperceptible, silencieux. Il me semble que l’on commence toujours ainsi : à la source de toute littérature, il y a une distance, qui rend les choses plus évidentes et en même temps les efface.

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