Ecrire aujourd’hui
Par
Bernard Pingaud
La littérature est une arme défensive. Pourquoi
écrit-on ? Pour se justifier ou se distraire, pour « saluer la
beauté », « promener un miroir le long d’une route »,
« faire concurrence à l’état civil », « donner un sens plus pur
aux mots de la tribu ». Toutes ces raisons sont vraies ; mais, plus
profondément, on écrit pour se défendre. L’ennemi que nous combattons est
insaisissable : c’est une ombre, un vide, une absence. L’écriture n’a pas
pour but de combler cette absence, elle prétend seulement la révéler.
Quelque chose a bougé : la réalité est devenue image.
Ce que je regardais naguère avec une curiosité distraite s’est glacé sous mes
yeux, comme si le spectacle s’écartait de moi ou comme si je m’écartais de lui.
J’ai su de façon certaine que ce monde, toujours présent devant moi, et qui,
selon toute apparence, n’avait pas changé, était pourtant devenu autre, ou plus
exactement, qu’un autre monde, invisible, avait à ce moment précis jeté son
ombre sur le monde familier que je contemplais. Ce fut bref, imperceptible,
silencieux. Il me semble que l’on commence toujours ainsi : à la source de
toute littérature, il y a une distance, qui rend les choses plus évidentes et
en même temps les efface.
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